La Lune est blanche
C’est un artiste irrésistiblement attiré par les voyages hors normes, les périples rares. Emmanuel Lepage s’est déjà rendu dans les Terres australes et antarctiques françaises (Voyage aux îles de la Désolation). Il n’a pas hésité à approcher de près une zone irradiée, pour une résidence artistique (Un printemps à Tchernobyl).
Avec son frère François, photographe, il a cette fois signé pour l’aventure, la vraie: rejoindre en bateau la base Dumont d’Urville en Antarctique, puis participer comme chauffeur à un raid ralliant, dans des conditions extrêmes, la station Concordia. Soit douze jours de conduite sur neige et glace avec une dizaine de professionnels français et italiens, 1200 km d’angoisse, de réflexion, d’attente, de méditation et d’action. (lire leur interview ici)
Les choses ne se déroulent pas sans heurts : il faut patienter, encore et toujours ; pour embarquer sur l’Astrolabe d’abord, puis une fois sur le bateau, coincé dans les glaces. Ensuite, les frangins doivent faire un choix cornélien. Suite à des aléas matériels, le calendrier est bouleversé. Le chef de l’expédition voudrait que l’un d’eux seulement parte sur le raid, et que l’autre demeure à la base pour retracer en images son quotidien. Emmanuel est logiquement désigné pour rester, il pourrait dessiner d’après les clichés de son frère lorsque celui-ci rentrera. Tiraillé entre son « devoir » (répondre à la commande passée par l’Institut polaire, lequel a permis ce voyage) et son goût pour l’aventure, l’auteur de BD choisit de poursuivre son rêve : il partira bien, au côté de François…
La Lune est blanche brille par son didactisme et sa liberté mêlés. Son chef d’orchestre, Emmanuel Lepage, tricote savamment cases de BD, croquis et photographies — de François Lepage. Il détaille l’organisation et le fonctionnement d’une expédition, renvoie à ses modèles d’aventurier (par exemple Shackleton, bloqué sur la banquise avec son équipage en 1914). Surtout, il livre avec honnêteté ses doutes, son intimité, la complexité de sa relation avec François – qui souffre parfois de n’être « que » le « frère du dessinateur ». Il n’hésite pas à démythifier ce qu’il vit : oui, grimpé sur un tracteur toute la journée, ébloui par une blancheur monocorde, il arrive qu’on s’ennuie, même en Antarctique. Servi par un dessin d’une grande élégance, ici contemplatif, là plus nerveux, son livre emporte, fait vibrer.
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