Là où se termine la terre
Là où se termine la terre, c’est l’histoire – et la signification étymologique – d’un pays, le Chili. C’est aussi une expression empreinte d’une poésie nostalgique. D’un moment où le beau et la tristesse se côtoient. C’est aussi, et surtout, l’histoire de Pedro, qui grandit dans l’après Seconde Guerre mondiale ; né d’un père d’origine libanaise, défenseur des arts et des poètes – Pedro, adolescent, dîne avec Pablo Neruda – et acquis aux idées progressistes du sous-continent américain, et d’une mère chilienne, aimante et bienveillante. Nonobstant la séparation précoce de ses parents, à une époque où le divorce n’était bien accepté, l’enfance de Pedro est celle d’un enfant de la classe moyenne : lycées cotés de Santiago, football, cinéma… En filigrane, un contexte politique : les espoirs d’un peuple en quête d’absolu social, un catholicisme dominant, des clivages sociaux criants. On évoque aussi l’ingérence des États-Unis qui, dans ce contexte de guerre froide, voient toute avancée sociale comme une chute vers le communisme, l’exemple de la révolution castriste à Cuba les rendant intraitables envers le Chili. Cela favorise les forces réactionnaires et l’avènement de Pinochet, qui marque la fin et de la narration de ce roman graphique mais aussi la fin de tout espoir pour le Chili. C’est à travers les yeux de Pedro que cette histoire nous est contée, lui qui forge, petit à petit, sa conscience politique.
Cet album est né d’une rencontre entre les auteurs Désirée et Alain Frappier (Dans l’ombre de Charonne, Le Choix) et celui dont l’histoire est racontée, Pedro Atias. Leurs discussions ont donné corps à cette narration qui mêle l’intime aux soubresauts de l’Histoire avec dextérité. Les auteurs, à travers le témoignage de Pedro, donnent des clés de lecture passionnantes pour comprendre ce pays en mutation, dont les espoirs furent largement déçus. L’ouvrage a pour mérite de traiter d’une période peu exploitée, celle d’avant Pinochet, pourtant essentielle à la compréhension – et non à la caution – du coup d’État.
Mais ce qui émeut surtout c’est la poésie qui émane de l’ensemble. Le sentiment poétique est ineffable, toutefois, Là où se termine la terre donne quelques pistes : d’abord un titre plein de promesses tenues ; puis le texte de Désirée Frappier, d’une qualité littéraire exemplaire, avec ces phrases qui caressent les yeux et vous happent sans retenue ; un dessin enfin, d’une richesse infinie. Alain Frappier passe par toutes les palettes graphiques du noir et blanc pour nous entraîner dans diverses émotions : le trait se fait plus ferme quand l’Histoire s’accélère, pour laisser place très souvent à des paysages tout en sfumato, propices à la rêverie, au voyage et à la découverte de ces terres chiliennes.
Là où se termine la terre est un ouvrage humaniste qui raconte l’Histoire à hauteur d’hommes, dans la même veine, si comparaison il devait y avoir, que Soleil brûlant en Algérie de Gaétan Nocq, un livre aux lectures multiples mais qui imprime toujours chez le lecteur une douce nostalgie. Un très grand roman graphique qui marque le début de cette année 2017.
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