La Partition de Flintham
1850. Flintham Hall Manor, qui a perdu son faste d’antan, est un domaine austère au cœur du Nottinghamshire. Lady Sutherland, la grand-mère de Clara et Lady Olivia, vient de mourir. En héritage, Clara reçoit le domaine alors qu’Olivia, elle, qui « a toujours préféré une vie libre et mondaine », reçoit l’équivalent de la valeur du domaine en livres sterling. Ce qui entraîne sa colère. Olivia décide alors de quitter le château, abandonnant sa sœur au triste sort qui l’attend. Pour sauver le domaine, moribond, elle va devoir abandonner sa grande passion, le clavecin…
Rares sont ces BD qui subjuguent dès les premières pages. La Partition de Flintham signée de l’italienne Barbara Baldi, dont c’est le premier roman graphique, est d’abord est un choc esthétique. Car l’album est avant tout un récit d’ambiance, servi par le splendide dessin pictural. On se croirait en pleine époque victorienne, au temps des sœurs Brontë. Les landes sont venteuses ou enneigées, les bruyères désolées, le château fier mais austère. La tristesse des personnages s’en fait l’écho, tout comme la lente descente aux enfers de Clara, pourtant courageuse mais obligée de troquer son clavecin et son talent pour un tablier de servante. L’immersion, entre peines et labeur, heureusement, n’est pas que plombante. Car à chaque page, la lumière surgit d’une bougie, d’un regard ou d’un soleil matinal. Et quand les mots se font rares, l’expressivité des visages, des postures et des paysages dit toute la détresse mêlée d’espoir qui habitent cette femme fragile, dépassée mais pas résignée, dans un contexte de pesanteurs sociales.
Ce que le scénario perd en vivacité d’ailleurs, il le gagne en intensité. Des émotions à fleur de peau nourries par une esthétique crépusculaire de toute beauté : tableau de maîtres à la Vermeer avec une parfaite maîtrise du clair-obscur, paysages froids et sombres comme ceux de Friedrich, champs renaissants à la Millet ou Van Gogh. L’autrice italienne, qui décloisonne les sens dans ses aquarelles, a parfaitement compris les jeux d’ombre et de lumière et les relations entre les couleurs pour composer des pages où l’alchimie des contraires figure la lente évolution des saisons, des sentiments et leur romantisme. Certaines illustrations lorgnant aussi vers le photoréalisme et le symbolisme, ajoutant une touche de mystère. Alors si l’histoire semble manquer de corps et paraît monacale, une lecture attentive de La Partition de Flintham révèle surtout une fine peinture sociale au goût de tragédie, délicate et sensible. Barbara Baldi, un talent à suivre donc de très près.
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