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La sombre comédie humaine d’Anne Simon

26 février 2020 |

anne-simon-photo-mismaCela fait près d’une quinzaine d’années qu’Anne Simon construit ses Contes du Marylène, une fable politique qui aborde les grands sujets de société – violences faites aux femmes, esclavage moderne, surconsommation, crise migratoire… – à travers l’itinéraire de personnages surprenants : une femme-poisson affirmant le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes, son fils accro à la patate frite qui devient un tyran capitaliste, un cirque chevalin tout droit tiré d’un album des Beatles, ou encore deux filles illégitimes du dictateur lézard, baptisées Gousse et Gigot. Un duo qui donne son nom au dernier né des livres de la série, l’un des plus poignants peut-être – après La Geste d’Aglaé, Cixtite impératrice et Boris l’enfant patate, tous chez Misma. Rencontre avec une brune autrice de presque 40 ans, aux grands yeux aussi francs que son parler, dont l’oeuvre personnelle compte parmi les plus intéressantes et singulières de la bande dessinée de ces dernières années.

Comment vous êtes-vous lancée dans cette saga du Pays Marylène ? Aviez-vous en tête dès le début toutes ses ramifications ?

Au départ, j’ai surtout dessiné un décor, des décors même. Je faisais beaucoup d’improvisation, afin de balayer l’angoisse de la page blanche. C’est ainsi que sont nées les premières histoires courtes, avec les personnages de Gousse et Gigot et d’Aglaé, qui sont apparues dans les revues Dopututto et Lapin. À un moment, j’ai voulu rassembler toutes ces histoires dans des livres. Qui composent peu à peu une comédie humaine, mais ce n’était pas prévu au départ.

anne-simon-gousse-gigotMais comment faites-vous pour que toutes les pièces du puzzle s’assemblent ?

Des questions narratives se sont évidemment posées ! Car, et c’est l’écueil de mon processus, une page dessinée risque d’avoir une influence pour la suite. Comme quand Aglaé perd sa couronne : c’était juste un oubli de ma part, et j’ai dû en faire un ressort narratif. Il faut donc que je sois très attentive, car il ne faut pas perdre le lecteur. Dans ce processus, sans prétendre à me comparer à lui, j’ai pensé à Paul Auster, qui fait apparaître le personnage d’Anna Blume incidemment dans un roman, avant d’en faire l’héroïne d’un autre… Après, toute la série ne fonctionne pas forcément ainsi. Si les livres en couleur, tels Gousse et Gigot, sont des histoires parallèles, les livres en noir et blanc, comme Boris l’enfant patate, sont plus construits et s’inscrivent dans une chronologie directe : à chaque tome, on découvre un nouveau dirigeant. Le prochain sera consacré à Simone, la féministe qui prend le pouvoir et devient une sorte de nazie ! Mes livres racontent tous que la politique rend fou, qu’aucun gouvernement ne fonctionne sur le long terme…

Pourquoi revenir sur les soeurs Gousse et Gigot, qu’on croise dans tous les épisodes précédents ?

Elles font partie des premières que j’ai dessinées et raconter leur histoire me permet de continuer à construire mon univers. J’ai plein de notes, de dessins et d’éléments de récit éparpillés dans des carnets, qui me serviront un jour. Par la suite, j’aimerais par exemple revenir sur les relations entre Mr Kite et le cheval Henry.

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anne-simon-kiteCes deux personnages, Kite et Henry, comme d’autres dans la saga, tirent leur nom d’une chanson des Beatles. Pourquoi ?

Parce que je suis une fan hardcore des Beatles ! Aux Beaux-Arts, je m’étais même donné comme contrainte de dessiner Paul McCartney dans toutes mes BD. Moi, j’aime qu’on me raconte des histoires et dans l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, chaque chanson est une histoire ! Et j’adore aussi le dessin animé Yellow Submarine. Les chansons des Beatles m’ont inspirée autant que plein d’autres livres.

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Loin de l’insouciance de certaines de ces chansons, vous optez pour des récits souvent sombres, des fables politiques parfois cruelles…

Je ne trouve pas ce monde si sombre, mais je dois convenir que je ne suis pas quelqu’un de très optimiste. Et je ne crois pas trop en l’être humain… Il y a tellement de raisons d’être énervée ! J’aborde dans mes livres des sujets sociétaux qui me questionnent aujourd’hui. Quand je me lance dans La Geste d’Aglaé, je ne me dis pas que je vais faire une bande dessinée féministe, c’est juste venu comme ça. Dans Boris l’enfant patate, je dénonce la société capitaliste basée sur la surconsommation. Dans un prochain volume, je parlerai de la question des migrants, à travers les habitants de l’île des Douk-Douk, un décor que j’avais dessiné sur une carte sans forcément savoir ce qu’il s’y déroulerait. Il m’est délicat d’affronter frontalement ces sujets qui me touchent beaucoup. Les inclure dans le Pays Marylène me permet d’exprimer mes angoisses.

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Au delà de ce contenu politique, les récits du Pays Marylène ont aussi quelque chose de l’enfance.

Bien sûr ! Imaginer des histoires est un truc d’enfants ! En tout cas, pour moi. Enfant, je lisais beaucoup, j’adorais les drames romantiques, avant de baigner dans Goltib, Fred ou Bretécher... Je créais même des petits livres, et mon grand frère m’interviewait et signait la préface… Ces lectures et créations d’enfance m’ont suivie, car je me suis rendue compte que Gousse et Gigot sont une référence directe – mais inconsciente sur le moment – à Boulotte et Ficelle, les acolytes de Fantômette, l’héroïne de Georges Chaulet. J’aimais Fantômette mais je lui ai toujours préféré Boulotte et Ficelle : elles vivaient seules sans parents, je trouvais ça génial !

anne-simon-claudeVous vivez depuis 2006 avec vos personnages du Pays Marylène. Ne vous lassent-ils jamais ?

Il faut que je me ménage des pauses, car au bout d’un moment, j’en ai marre de les dessiner. Ce que j’ai fait quand j’ai travaillé sur Marx ou L’Homme à la fourrure. Ces albums biographiques, qui sont aussi importants pour leur aspect financier, sont plus « reposants », car je ne peux me concentrer que sur la mise en scène et le dessin. Il est également intéressant de me confronter à des choses qui me sont inconnues ou pénibles. Par exemple, je déteste dessiner les personnages masculins ! Et parfois, ce travail me sert pour le Pays Marylène : quand je suis allée à Vienne afin de me documenter pour L’Homme à la fourrure, j’en ai ramené des idées pour l’architecture de mon petit monde.

Justement, côté dessin, votre trait ou vos outils ont-ils évolué depuis le début ?

Pas tant que ça, d’autant que j’utilise depuis le début la plume et l’encre pour dessiner… Mais je me traîne ces personnages depuis tellement longtemps que, dès que j’y reviens, je me remets totalement en question. La remise en question peut durer des mois, et heureusement que Damien et Guillaume, les deux frères à la tête de Misma, savent me remotiver! Et puis, ils me donnent une totale liberté. Je suis donc souvent très longue au démarrage, mais après je peux dessiner très vite.

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Recherches de couverture pour l’album « Gousse & Gigot »

Vous les aimez, vos personnages, vous ne le tuez presque jamais et préférez les faire disparaître sans préciser s’ils sont morts ou vivants… Vous ne pouvez pas vous en passer.

Oui, je le pense. Aglaé, au bout d’un moment, je n’en pouvais plus, alors je me suis concentrée sur d’autres. Mais j’ai envie d’y revenir, de raconter d’où elle vient, le pays des Océanides, un peuple aquatique inspiré par la mythologie grecque. Boris, son fils tyrannique, en plus d’être insupportable, était très pénible à dessiner car, à cause de sa grosse tête, il ne peut pas lever les bras! Simone est une manipulatrice et elle va péter les plombs… Mais à chaque fois, j’essaie de leur trouver une faiblesse, un petit quelque chose qui excuse leur conduite ou les rend plus sympathiques. Pour ce qui est de les tuer, c’est vrai que je trouve cela triste, alors je préfère me garder la possibilité d’en faire autre chose un jour…

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Qui reviendra prochainement ?

Simone et son Institut des Benjamines. Ce sera la suite directe de Boris, où l’on verra comment la dirigeante féministe devient à son tour tyrannique. Mais avant, je travaille à un volume de l’Histoire dessinée de la France, consacrée à la Renaissance. Qui me demande pas mal de documentation…

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Gousse & Gigot.
Par Anne Simon.
Misma, 164 p., 19 €,  janvier 2020.

Autres albums dans la série Les Contes du Marylène : La Geste d’Aglaé, Cixtite impératrice, Boris l’enfant patate.

Images © Anne Simon / Misma
Merci à l’autrice de nous avoir ouvert ses carnets.

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