Richard III sur la banquise, un pari fou ? C’est un peu celui que se sont lancés Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle avec cette fresque historique en cinq actes qui s’inspire de Shakespeare pour en tirer toute sa modernité. Ils mettent en scène un chevalier anglais en fâcheuse posture, le boiteux Richard, qui cherche à se refaire un nom et un titre loin du royaume. Et qui se retrouve sur une terre pelée aux confins du monde connu : le Groenland. Là-bas survit tant bien que mal une petite communauté chrétienne, non loin des autochtones menaçants. D’abord désespéré d’aboutir dans ce pays réputé vert mais qui est surtout aride et inhospitalier, Richard va finir par entrevoir une issue : manipuler les uns et les autres pour conquérir le pouvoir afin, pour commencer, de devenir le souverain local.

Moins retors que ses Indes fourbes, mais tout aussi ambitieux, le scénario d’Alain Ayroles pour La Terre verte bluffe par sa profondeur et sa fluidité. Fascinant, caustique, mais aussi terrifiant à certains égards, il brosse le portrait d’un homme violent et manipulateur, accro au pouvoir et à ce qu’il génère sur les humains dociles – et qui commente ses propres complots en s’adressant directement au lecteur, comme un acteur viendrait sur le bord de scène pour se confier aux spectateurs. Et ce n’est pas parce qu’il se déroule à la fin du XVe siècle qu’il n’a pas ses résonances contemporaines, politiques ou écologiques notamment. Comment ne pas voir dans Richard le reflet de dirigeants prêts à tout – au mensonge, au meurtre, à la manipulation des masses, à un désastre environnemental – juste pour conquérir un trône et y demeurer ? Et le fait que le territoire à saisir soit le Groenland renforce, de toute évidence, le parallèle… Pour donner corps à ce continent de pierre et de glace, Hervé Tanquerelle semblait tout désigné. Lui qui avait déjà dessiné les Racontars arctiques et Groenland Vertigo trace ici un nouveau sillon dans la neige, en incarnant magnifiquement tout un village, habitants, maisons et décors naturels, d’un trait puissant et vivant, pas dénué d’humour non plus, et joliment éclairé par le travail sur la couleur d’Isabelle Merlet et Jérôme Alvarez.

Par ses qualités d’écriture, l’originalité de sa mise en scène et son graphisme léché, La Terre verte s’impose comme une des sorties les plus fortes de 2025, dans un registre de grande fiction historique ambitieuse et moderne, comme on n’en lit finalement bien trop peu. On ne saurait passer à côté.