La Tragédie brune
Le journaliste Xavier de Hauteclocque, cousin du futur maréchal Leclerc, a été un des premiers à alerter sur la réalité du projet nazi pour l’Allemagne et l’Europe. À écrire, suite à plusieurs voyages outre-Rhin, sur l’exacerbation d’un sentiment nationaliste, la traque des juifs et des opposants politiques, et les camps de concentration. C’était entre 1932 et 1934, sans doute trop tôt pour qu’on veuille y voir une mise en garde. Mais trop tard d’un certaine manière, puisqu’il fut assassiné par les nazis en 1935.
Thomas Cadène, plus connu pour ses projets personnels audacieux (Alt-Life, Été, Les Autres Gens, Sex-Tape…), se lance ici dans une adaptation, celle du livre éponyme édifiant mais passé relativement inaperçu d’un journaliste qui avait tout compris de l’ambition du IIIe Reich. Le plus dur étant de donner corps à ce personnage, qui n’a rien d’un espion aventureux, tout en montrant ce que le monde a découvert avec horreur bien des années après ses articles. Pas écrasé par son sujet, il s’en sort avec brio, s’appuyant sur les mots même du journaliste, et le mettant en scène sobrement dans sa délicate recherche de témoins pour raconter cette Allemagne prise de folie meurtrière et de haine revancharde, manipulée par des idéologues brutaux. Car dès sa prise de pouvoir, le parti nazi avait pris soin de chasser les contradicteurs et de faire taire les revendicatifs. On voit donc le reporter naviguer telle une ombre indésirable au milieu d’autres ombres, fantômes d’Allemands soit aveuglés par la haine, soit résignés face à la violence des premiers, soit simples âmes en sursis. Ce côté funèbre et étouffant est superbement brossé par le trait épais de Christophe Gaultier (Là où naît la brume, Le Porteur d’histoire, Le Fantôme de l’opéra, Le Suédois…), qui surjoue les trognes difformes, les colombages pesant de l’architecture germanique, les plis des uniformes bruns. On suffoque, on panique. Prévenus, l’Europe et le monde auraient dû faire pareil et se préparer au pire. Ils ne l’ont pas fait, et une tragédie brune s’est jouée là, dans le sang de millions d’être humains.
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