La Villa du Lavoir, atelier d’amour et de BD
De squat dans un gymnase d’EDF à atelier d’artistes ayant pignon sur rue, voici l’histoire de la Villa du Lavoir à Paris, racontée par son « fondateur », Florent Ruppert.
C’est lors d’une une journée grise et pluvieuse, du début des années 2000, qu’est né l’atelier de la villa du Lavoir. Un temps à ne pas mettre le nez dehors. Ce jour-là, ça arrange bien Florent Ruppert, son pote Romain Flizot et les quelques amis qui les accompagnent. Pour ce qu’ils ont à faire, moins il y a d’yeux, mieux c’est. Le groupe pénètre dans un immeuble du 10e arrondissement de Paris, aux environs de Strasbourg Saint-Denis. Arrivés au dernier étage, ils grimpent à une échelle et ouvrent un vasistas. Puis, de toit en toit, ils s’approchent des fenêtres à l’étage d’un ancien gymnase réservé au personnel d’EDF, vacant depuis des mois. Au cas où un riverain les apercevraient, ils ont revêtu des bleus de travail.
Cette idée, le dessinateur Florent Ruppert (Soirée d’un Faune, Les Weekends de Ruppert et Mulot, La Grande Odalisque) l’a eue lorsqu’il vivait à Amsterdam, étudiant aux beaux-arts : « Je logeais dans des squats autonomes. Je me suis inspiré de l’histoire d’un local ouvert à l’époque dans le Red Light District, un quartier où il y a beaucoup de policiers. Pour ouvrir l’endroit, ils avaient eu l’idée de se déguiser en ouvriers, avaient pris avec eux un poste de radio, et l’avaient fait au nez et à la barbe de tout le monde, en plein jour. » De cette expérience aux Pays-Bas, il revient avec l’idée d’ouvrir un squat à Paris.
19 auteurs et un chat noir
Quinze ans après que Florent Ruppert s’est glissé à travers la fenêtre du local pour y installer sa table de dessin, l’aventure continue à la Villa du Lavoir. Petit rappel : à Paris, une « villa » désigne un îlot d’habitation protégé de l’urbanisation, souvent une allée, le plus souvent fermée et piétonne. Pas moins de 19 auteurs y sont actuellement en résidence (longue, ou courte), certains chevronnés comme l’inséparable binôme de Florent, Jérôme Mulot, ou encore Claire Braud, Charles Berberian, Hugues Micol, Aude Picault et Antoine Marchalot, mais aussi de jeunes talents, telle que la libanaise Raphaëlle Macaron, qui travaille actuellement sur son premier album.
Dans le grand espace aéré de l’étage, ça travaille dur, dans un silence studieux, uniquement troublé par le froissement des feuilles de papiers. De son côté, le chat noir Fata (pour « feuille » en italien) paresse dans un coin.
Autant d’hommes que de femmes, de tous les âges
Entre les débuts héroïques et l’atelier tel qu’il tourne actuellement, l‘occupation du bâtiment a été régularisée par la mairie d’arrondissement – grâce, entre autres, à l’initiative municipale « L’art dans la ville » – qui de fait « subventionne en nature » un lieu de création. Florent et ses amis ont créé une association pour organiser la gestion du local, et ont invité des artistes contemporains à travailler au rez-de-chaussée.
De cette cohabitation naissent des mélanges, de la BD à l’art et de l’art à la BD. Ainsi, la céramiste Sophie O’byrne propose depuis quelque temps des ateliers de peinture sur terre cuite. Des séances de dessin de nu sont aussi organisées, ouvertes aux étudiants en art. Et dans l’autre sens, l’artiste Abdelkader Benchamma a sorti sa première BD.
C’est la règle d’or de l’atelier. Le collectif, la parité, le mélange : « Ici, il y a autant d’hommes que de femmes, et on essaie aussi qu’il y ait des gays, des noirs, des queers, et de tous les âges. » Ce qui était surtout, au départ, pour Florent Ruppert, un désir de compagnie, s’est structuré en valeurs avec le temps : « Les envies d’inclusion n’étaient pas forcément évidentes dès le départ. Mais j’ai compris la force du collectif. Et puis, la société est tellement inégalitaire… Dès qu’on a un tout petit peu de pouvoir, il faut l’utiliser pour rééquilibrer les choses. »
Un cuistot par jour, quatre groupes de ménage
Et de fait, les principes libertaires et d’autogestion président à l’organisation du local, qui n’est pas simple, car toutes les questions regardant au fonctionnement du lieu sont discutées en commun, lors de réunions. Seule prérogative réservée à Florent Ruppert et Aude Picault : examiner les postulants. « Parce que c’est plus simple, et que ça va à tout le monde comme ça. »
Pour le reste, une personne différente prépare chaque jour le repas du midi pour tout le monde (rez-de-chaussée compris), et quatre groupes de ménage se relaient par périodes de quinze jours, avec un grand ménage de printemps où tout le monde doit être présent. Obligatoirement. « Sinon, c’est un coup de ceinturon sur le dos par personne. Non, je déconne« , plaisante Florent. « Plus sérieusement, il nous est déjà arrivé d’exclure des résidents qui ne jouaient pas le jeu. C’est très facile de ne pas participer quand il n’y a personne derrière toi pour vérifier que tu fais le taf. Mais on ne tolère pas qu’on vive aux dépens du groupe. » Faire partie de l’atelier, une chance qui doit se mériter.
« Un airbag émotionnel »
Aujourd’hui, l’idée de retourner travailler dans son coin ne traverserait pas l’esprit de Florent Ruppert. Il y trouve trop de plaisir et d’avantages. Au-delà de l’émulsion artistique et d’une démarche d’utopie réalisée, le groupe permet aussi de mieux s’organiser dans les négociations avec les éditeurs : « Les plus expérimentés peuvent donner des conseils à ceux qui débutent. Parfois, de dire qu’on est à l’atelier de la Villa du Lavoir permet aux éditeurs de savoir que derrière, il y a tout un groupe qui nous soutient, et qu’on sera plus dur à la négo. »
En 15 ans, les dessinateurs se sont succédé, et la villa a vu passer des auteurs tels que Nicolas de Crécy, Killoffer, ou encore Lisa Mandel. Chacun y apporte sa touche : « Ça te fait te poser des questions, et tout le monde en bénéficie. Par exemple, Lisa Mandel m’a fait découvrir sa très belle vision du féminisme. » Cette histoire particulière fait de la Villa du Lavoir plus qu’un simple lieu de travail : « C’est la maison du bonheur, un airbag émotionnel« , ajoute Florent, un peu ému. Et puis, lâche-t-il enfin, comme s’il était gêné d’avoir à formuler l’évidence : « Il y a beaucoup d’amour, ici. »
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