La petite ville brésilienne d’Itaguaï n’a en apparence rien d’extraordinaire ni qui mérite le détour. Sauf que c’est là que vit le docteur Simon Bacamarte, sommité dans son domaine, qui a décidé d’étudier la folie. Il ouvre alors un établissement baptisé la Maison verte, dans laquelle il fait interner les hommes et femmes souffrant, selon lui et lui seul, de troubles mentaux. Soutenu par l’administration municipale, Bacamarte étend peu à peu son influence sur la ville et, au nom de la science, enferme de plus en plus de monde…

Les jumeaux brésiliens Ba et Moon, remarqués notamment pour leur Daytripper, adaptent ici un classique de la littérature de leur pays, signé J.-M. Machado de Assis (1882). Cette fable effrayante joue sur les ressorts de l’absurde pour mieux s’intéresser à des sujets comme la foi aveugle en la science, le charisme d’un individu investi d’un pouvoir hors norme dans une société mal éduquée, la manipulation des foules, l’importance des apparences… Leur adaptation est volontairement littéraire, fidèle au style d’une époque, comme une chronique distanciée et ordinaire d’événements extraordinaires. Ce qui est d’autant plus terrifiant, puisque plus de la moitié du village finit par se faire enfermer dans la Maison verte ! Riche en récitatifs, cet album évite pourtant l’écueil de la plate illustration d’un texte littéraire, car il préfère les gros plans lourds de sens de visages expressifs aux cases pleines de décors détaillés, et joue sur une unique palette sépia pour ne pas surcharger les pages. Cette double contrainte narrative – texte distancié et dessins au plus près des personnages – produit un effet étrange et efficace, posant le lecteur comme le témoin d’une folle et périlleuse expérience sans aucun pouvoir d’intervenir. Joli coup et belle découverte.