L’Américain
Déstabilisant et intrigant ! Ainsi peut-on qualifier le prologue de cet album. Une quinzaine de planches en noir et blanc, où un personnage aux yeux agrandis par la peur, une mallette à la main, court à travers la forêt, sous les projectiles, jusqu’à un pont aussi imposant que le Golden Gate. Seules des onomatopées rompent le silence de ces premières planches muettes qui attisent la curiosité, telles la bande-annonce d’un blockbuster hollywoodien.
Puis on saute dans le vif du sujet et du rouge des planches, sur lesquelles viennent se superposer les cases – pas toujours, d’ailleurs, l’auteur s’en affranchit la plupart du temps – d’un épisode d’une série télé mettant en scène un héros made in USA (drapeau sur le cœur) : « L’Américain », le genre de type baraqué capable d’arrêter des balles avec son harmonica pour sauver les États-Unis. Un feuilleton que ne manquerait pour rien au monde Francis, le gars en fuite des premières pages.
Francis est un jeune homme qui vit avec son temps : les années 1990. Il se prétend auteur, mais passe plus de temps au bistrot avec ses copains que devant sa machine à écrire, ce qui a le don de faire enrager Claire, sa petite amie, infirmière dans un hôpital. La situation va se compliquer quand Francis reçoit la visite de l’Américain qui lui confie une mission de la première importance, impliquant une mallette.
Pour son deuxième album – qu’il a réalisé à la maison des auteurs d’Angoulême – , le jeune auteur lyonnais Loïc Guyon mélange allégrement fiction et réalité dans un shaker et nous sert un cocktail déjanté, bien dosé en humour, en références et en clichés, saupoudré de réparties savoureuses dignes des « meilleurs » films d’action américains.
Graphiquement, c’est plein d’inventivité, des compositions inattendues, qui se renouvellent sans cesse, un dessin élastique, aussi dansant que la langue, riche en poésie des rues, avec un phrasé qui sonne juste. Le noir et blanc associé au quotidien de Francis symbolise la banalité de son existence, régulièrement bouleversée par les chapitres dédiés à l’Américain avec des couleurs survitaminées (rouge, orange, vert puis bleu, ce qui offre un joli rendu sur la tranche).
En arrière-goût : une critique sociale amère sur la fascination devant des « superhéros » (ou présidents…) qui s’agitent avec barouf, qui prétendent défendre leur nation contre toutes sortes d’envahisseurs (à turban ou à chapka, même combat) mais qui, en réalité, brassent du vent tandis que les classes populaires galèrent. L’épilogue – la surprise post-générique – se déguste comme un bonbon !
Voilà un album loufoque, original et intelligent, qui a toute sa place dans la sélection officielle du festival d’Angoulême 2022.
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