Le conseiller de l’ombre de trois anciens présidents français est sur les dents. Il est en disgrâce depuis l’élection du nouveau chef de l’État et, surtout, sa fille Silver a disparu. Fugue, kidnapping, meurtre? Le suspense ne dure pas longtemps car la gamine est retrouvée, saine et sauve, en Argentine. Un voyage quasi impossible en si peu de temps et qui ne lui a laissé aucun souvenir. Toutefois, au fil d’une enquête tortueuse, il semblerait que cet enlèvement mystérieux soit plus lié à la clinique privée qui maintient la mère de Silver en vie plutôt qu’aux activités politico-obscures du papa…

Alors qu’il a clôturé sa saga Capricorne, Andreas arrive chez Futuropolis avec un one-shot tout aussi barré et cérébral, mais dans le registre du polar. Avec tout de même une bonne dose de fantastique. On retrouve le style inimitable de l’auteur : cases étroites et nombreuses, jeu sur l’horizontalité et la verticalité, trait acéré idéalement mis en valeur par les couleurs d’Isa Cochet, rythme parfaitement étudié, comme une comptine graphique hypnotique qui emmène le lecteur dans un labyrinthe tantôt foutraque, tantôt oppressant, souvent jouissif. Au fil de pages au découpage vertigineux et aux cadrages étouffants mais toujours lisibles, on veut comprendre, on cherche la clef, inlassablement, avec le sentiment délicieux de se faire trimballer. Et finalement, au bout des circonvolutions animées par des personnages troubles – l’enquêtrice aride, la gamine évanescente, le papa psychopathe –, on déguste un bon thriller aux accents vaguement lovecraftiens. Pas classique, non, mais pas aussi dingue qu’on aurait pu le penser. Ce qui n’empêche pas L’Argentine d’être une BD hors des cases et du temps, nouvelle oeuvre singulière d’un auteur qui ne l’est pas moins, et ce depuis 40 ans.