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Laurent Maffre reconstitue le bidonville de la Folie à Nanterre

11 juin 2012 |

maffre_introDans Demain, demain, il explore un lieu terrifiant : le bidonville de la Folie à Nanterre, où les immigrés étaient parqués dans les années 50-60. Laurent Maffre, 35 ans, raconte l’arrivée en France de Soraya, Samia et Ali, pour rejoindre leur mari et père. Il détaille leur quotidien ultra-précaire dans des baraquements insalubres. Ce récit précis et bouleversant est enrichi d’une belle fresque sonore, parfaitement complémentaire. L’auteur revient pour BoDoï sur son travail documentaire.

demain_1Comment vos héros sont-ils nés ?
Ils sont le résultat de différents témoignages : certains recueillis par la travailleuse sociale Monique Hervo, et d’autres récoltés par mes soins. Mon but était de restituer les éléments récurrents de leurs histoires respectives. Plutôt que plaquer une intrigue artificielle sur ce cadre, j’ai souhaité travailler sur une famille particulière, raconter son quotidien. Mais c’était risqué : en déroulant une routine, je pouvais ennuyer et perdre le lecteur. J’ai choisi de me focaliser sur des Algériens – alors que la Folie comptait aussi des Marocains ou des Portugais – pour pouvoir évoquer la manifestation du 17 octobre 1961. Dans la famille que j’ai créée, on ne compte pas vraiment de héros ou personnage principal. Les parents et leurs deux enfants me permettent d’utiliser la diversité des témoignages existants, venant de plusieurs sexes et générations. Ma contrainte principale était de leur donner une réalité, qu’ils ne soient pas seulement des porte-parole.

Comment avez-vous bâti le scénario ?
Ce fut très laborieux. Heureusement, je suis patient… Même si je n’aime pas passer trois jours sur une planche, il me faut prendre le temps de trouver un rythme adapté à l’histoire. J’ai essayé d’être le plus rigoureux possible, de faire en sorte que cette BD s’adresse à tous. Que des lecteurs découvrant l’existence du bidonville de Nanterre y trouvent autant d’intérêt que ceux qui y ont vécu, par exemple. J’ai tenté de créer des ponts entre différentes disciplines, comme l’histoire, la géographie ou l’anthropologie. Je me suis rendu sur le site, j’ai exploré les archives. Il ne s’agit pas d’un sujet comme un autre, on se sent lié à ceux qui ont vécu à la Folie, comme à ceux qui ont travaillé dessus.

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Comment recrée-t-on le quotidien d’un tel endroit ?
J’ai choisi d’effectuer un travail sur la répétition, de rendre plusieurs éléments récurrents. Comme la boue qui salit les chaussures, le feu qui prend inopinément, les brigades de démolition qui surgissent… Je souhaitais éviter de lister cela de manière aride, d’où l’idée de boucles narratives, de flash-back qui permettent au lecteur d’éprouver le temps et de s’immerger dans le récit. J’ai cherché à le perdre aussi, ici ou là, afin qu’il ressente ce que vivent les immigrés arrivés en France.

demain_3D’où est venue l’idée d’explorer ce sujet ?
Je voulais me lancer dans une veine proche du reportage ou du documentaire, mais sans le filtre du journaliste, qui sert de fil conducteur. Et être au plus près des personnages, tout en traitant de problématiques ayant des résonances avec l’actualité. Comme l’immigration, la précarité, les conflits avec l’administration… L’idée du bidonville de Nanterre a surgi un peu par hasard, alors que je m’intéressais au milieu ouvrier des années 50.

Comment vous êtes-vous documenté ?
Dans un premier temps, mon approche a été uniquement livresque. C’est ainsi que j’ai découvert le travail de Monique Hervo, auteure de Chroniques du bidonville. Comme il n’était pas aisé de la contacter, j’ai d’abord rencontré son collaborateur, le photographe Jean Pottier. Au bout d’un an, j’ai enfin vu Monique, aujourd’hui octogénaire. C’est une femme extraordinaire, qui a vécu l’exode pendant la Seconde Guerre mondiale, s’est engagée pour l’indépendance de l’Algérie, a vécu trois années durant dans le bidonville de Nanterre, y jouant un rôle d’écrivain public, aidant aussi à construire des baraques… Elle a réussi à documenter cette histoire-là, via des plans, des photos et des enregistrements sonores. Elle avait pour cela acheté l’un des tout premiers magnétophones à bande de l’époque !

demain_4Qu’avez-vous découvert en enquêtant ainsi ?
Attention, je n’ai pas eu de démarche d’historien. Je n’ai rien exhumé, j’ai juste organisé et hiérarchisé des informations. Le sujet étant très touffu, avec une tendance à partir dans tous les sens, il a été fort compliqué de donner l’illusion d’une certaine simplicité.

Comment avez-vous finalisé votre style graphique ?
J’aimais l’idée d’un trait aérien, léger, qui permette aussi bien de fouiller le dessin que de rester allusif. J’aime la gravure, la technique de la pointe sèche. J’ai travaillé à échelle réelle pour m’assurer de la lisibilité des dialogues et des planches.

Quel est votre parcours ?
Je suis enseignant en arts appliqués à l’école publique Olivier-de-Serres, à Paris. Il y a quelques années, la pratique du dessin se résumait pour moi à des croquis ou carnets de voyage. J’avais envie de l’exploiter sous une autre forme, de pouvoir raconter des choses grâce à elle. Plus jeune, je ne lisais pas particulièrement de bandes dessinées. J’ai redécouvert ce qui se faisait en la matière dans les années 1990, de façon tout à fait ingénue, et me suis notamment enthousiasmé pour les publications de L’Association. Soudainement, de nouveaux territoires s’ouvraient à moi ! Je m’y suis mis petit à petit, de façon méthodique.

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demain_7Comment avez-vous pensé vos premiers livres ?
Il s’agissait d’adaptations d’oeuvres littéraires – L’Homme qui s’évada d’Albert Londres et Les Chambres du cerveau de Stevenson. Car je ne souhaitais pas tout gérer à la fois. Il me fallait déjà me concentrer sur le découpage, la mise en scène, le type de trait à trouver…

Quels sont vos projets ?
J’aimerais continuer à explorer le thème de Demain, demain. Je voudrais aborder une période un peu plus tardive, m’intéresser au travail à l’usine et aux cités de transit.

Propos recueillis par Laurence Le Saux

 

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Demain, demain
Par Laurent Maffre.
Actes Sud BD/Arte éditions, 23€, mars 2012.

Images © Actes Sud BD/Arte éditions.

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