Le Cas David Zimmerman
Le cas de David Zimmerman est épineux. Habitant le quartier parisien de Belleville, ce jeune homme solitaire de 34 ans, photographe désabusé, se laisse entraîner par Harry, son ami (qui lui veut du bien, a priori), dans une soirée de la Saint-Sylvestre. Au milieu de la foule festive et alcoolisée, David croise le regard d’une brune ténébreuse en imperméable. Irrépressiblement attiré, il la suit jusqu’à une pièce isolée, où leurs corps s’enflamment de désir Quelques heures plus tard, David se réveille chez lui. Il ne se souvient pas de son retour, mais c’est le cadet de ses soucis. Plus préoccupant est le mystère auquel il est confronté : son esprit habite désormais le corps de l’inconnue de la veille.
Après la sidération vient le moment des questions : qui est cette femme ? pourquoi a-t-il récupéré son enveloppe corporelle ? Il lui faut absolument la retrouver pour récupérer son apparence ! Une enquête qu’il doit mener seul : David doit « ghoster » son meilleur (et unique) ami, qui serait bien du genre à lui sauter dessus avec son nouveau physique avantageux.
Impossible d’en dire davantage sans dévoiler les rebondissements de l’affaire. Le récit, à la croisée de plusieurs genres – fantastique, récit intimiste, thriller – maintient la tension sur quelque 360 pages. L’auteur, nourri aux films noirs et aux romans policiers, joue d’ailleurs avec les codes du polar : s’il n’y a pas de cadavre, il y a bien un mystère, des indices, un imperméable, un papier froissé dans la poche…
On retrouve dans ce 3e album de Lucas Harari des éléments de ses précédents récits : le traitement des couleurs de L’Aimant, le thriller d’ambiance de La Dernière Rose de l’été. Ce roman graphique bénéficie de la maturité de l’auteur, mais aussi de la collaboration avec son frère Arthur Harari, réalisateur et scénariste (Anatomie d’une chute, coécrit avec Justine Triet, notamment), pour l’écriture du scénario. Ensemble, les frères explorent les questions de l’identité, de l’héritage familial, de la judéité. Ce n’est pas anodin, si David Zimmerman est photographe : la photographie, c’est la trace du passé. Un passé qui ne passe pas, où cet anti-héros reste ancré.
Son nom aussi, est révélateur : en allemand, der Zimmermann, c’est le charpentier. Un métier lié à l’architecture, omniprésente dans l’œuvre de la famille Harari : avant d’entrer aux Arts déco, Lucas y a fait une incursion, sur la trace de ses parents architectes (auxquels il rend hommage dans l’album à travers une scène à Bobigny-sur-Orge). Il ne se prive pas de dessiner de superbes décors urbains dès que l’occasion se présente : immeubles parisiens ou de banlieue, colonne de la place de la Bastille, autoroute, gare… De grandes planches muettes, comme autant de respirations dans ce récit sous tension où les dialogues ciselés sonnent justes, les partitions variant d’un protagoniste à l’autre en fonction de leur sociologie.
Une fois encore, les éditions Sarbacane ont fabriqué un joli écrin à ce récit, avec un très grand format, un papier haut de gamme et un dos toilé violet, du plus bel effet combiné au vert lumineux de la couverture, sur laquelle se détache l’ombre d’un profil féminin. À l’intérieur, des camaïeux de roses et de violets confèrent une ambiance inquiétante à ce mélodrame fantastique qui laisse la gorge nouée et de quoi cogiter. De quoi patienter jusqu’au prochain album !
Publiez un commentaire