Le Château des ruisseaux ***
Par Frédéric Poincelet et Vincent Bernière. Dupuis/Aire libre, 15,50 €, le 6 janvier 2011.
Le château en question est un établissement arboré qui accueille les toxicomanes. Ceux qui n’en peuvent plus, ceux dont la peur d’y rester à la prochaine overdose est plus forte que l’envie d’aller se faire un shoot dans une sanisette de Barbès. Ceux qui ont tenté d’en finir, ceux dont la famille lutte pour qu’ils ne crèvent pas seuls la tête dans leur vomi. Le château les accueille, leur interdit toute substance, y compris les substituts, et prône l’ouverture au groupe et la prise de parole. Mais avec quel espoir?
Entre documentaire et autofiction, ce one-shot de Frédéric Poincelet (Mon bel amour, Essai de sentimentalisme) et Vincent Bernière (journaliste et éditeur chez Delcourt, responsable des labels Outsider et Erotix) dérange, fascine, émeut. Rarement on aura été aussi près de la parole de toxicomanes, de leurs peurs et de leurs espoirs, de leur angoisse perpétuelle de replonger et de leur regard d’enfant terrifié par le monde. Mais l’intelligence des auteurs est de ne jamais prendre le chemin du spectaculaire (la crise de manque, les prises de bec entre membres du groupe sont traitées sur un mode relativement calme…) et de vraiment emboîter le pas du concept de la thérapie mise en oeuvre au château : la parole d’abord, et l’importance d’aborder la vie au jour le jour, sans trop se projeter, pour ne pas flipper. Les dialogues sont ainsi habilement écrits et articulés, sonnent juste, expriment sobrement les sentiments les plus extrêmes. Et le dessin est à l’avenant: ultra-réaliste et d’une grande finesse, il met en valeur les visages, tendus ou grimaçants, sérieux ou moqueurs, en jouant sur une légère disproportion. Et fait judicieusement oublier au lecteur sa position extérieure, en s’affranchissant des cases et en collant au plus près des personnages, allant de l’un à l’autre dans un mouvement incessant mais imperceptible.
Calqué sur le parcours de vrais toxicos en cure, jamais Le Château des ruisseaux n’est moralisateur, accusateur, ni même angélique. Il montre, avec simplicité, des personnes qui, pour différentes raisons (souvent une rupture au moment de l’adolescence), ont touché le fond. Et qui tentent de donner un coup de talon pour remonter, avant de se noyer définitivement. On partage tout au long du volume cet espoir, qui demeure hélas mince, puisqu’on apprend à la fin que seule une petite minorité de ces âmes perdues s’en sortira vraiment. Un ouvrage rare et puissant, mais peut-être un peu court pour bien appréhender la difficulté du chemin.
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