Le Coup de Prague
L’écrivain Graham Greene se rend à Vienne, à l’hiver 1948. Il vient y préparer, aidé de l’efficace Elizabeth Montagu, un film qui fera date – on reconnaît rapidement les éléments majeurs du Troisième Homme de Carol Reed. Alors qu’il arpente la ville, ses lieux de culture mais aussi de débauche, un parc d’attractions délaissé et même les égouts, de nombreux personnages troubles tournent autour de lui. Un mystérieux photographe à lunettes, un baron cadavérique, des espions américains, des tueurs en tout genre… Et si Greene n’était pas seulement en mission d’écriture dans la capitale autrichienne, alors que la menace communiste avance à l’Est ?
Nimbé de mystère dans une atmosphère vaporeuse – de brouillard dans les rues de Viennes ou de tabac dans les salons enfumés –, cet épais one-shot embrume le cerveau du lecteur en multipliant les fausses pistes comme dans les meilleurs films d’espionnage. Et, évidemment, en jouant sur le rapport fiction/réalité, car si l’écrivain britannique s’est bien rendu à Vienne pour se documenter pour son scénario du Troisième Homme, il n’a a priori pas fait tout ce que Jean-Luc Fromental a imaginé. Ce dernier revient d’ailleurs sur cet « homme complexe, complet » dans un très chouette dossier documentaire en fin d’ouvrage. L’écriture de Fromental emprunte aux meilleurs romans noirs, et trouve de toute évidence la parfaite illustration dans le dessin de Miles Hyman (La Loterie, Le Dahlia noir…), imprégné de cette atmosphère depuis longtemps. Ensemble, ils produisent une bande dessinée d’un grand classicisme mais passionnante de bout en bout, qui rend un formidable hommage à la fiction des années 1940-50. Si vénéneuse, si trouble, si prompte à sonder l’âme humaine pour en faire sortir le pire. Brillant.
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