Le Discours de la panthère
Un varan mord, par réflexe, un buffle qui tente de déplacer une île. Une autruche peureuse décide de s’afficher, pour la première fois, au grand jour. Un étourneau quitte son peuple pour découvrir le monde. Un éléphanteau panique à l’idée de devoir porter la mémoire du monde. Un bernard-l’hermite cherchant la coquille parfaite se coupe de ses congénères. Solitude, libre-arbitre, Histoire, estime de soi, entraide… Ces grands thèmes de la vie des hommes sont abordés, sous un angle philsophique et un biais zoologique, par Jérémie Moreau, dans un album aussi envoûtant qu’original.
Après La Saga de Grimr (Fauve d’or à Angoulême), Jérémie Moreau avait déjà pris un virage philosophique avec Penss et les plis du monde. Il poursuit dans cette veine, cette fois avec de courts récits accessibles à de plus jeunes lecteurs, du moins à première vue. Car leur simplicité apparentecache en réalité une base à des débats philosophiques profonds, autour des grands thèmes classiques : passions/raison, fin de l’Histoire, beauté, limites individuelles et collectives de la liberté. Mais abordés avec autant de finesse, d’émotions et de légèreté, ils peuvent susciter la réflexion des ados comme des adultes. D’autant que Jérémie Moreau ne choisit pas la facilité en calquant des comportements humains sur des animaux, à la manière des Fables de La Fontaine : il s’intéresse vraiment aux destins des oiseaux, taupes et autres lycaons, en imaginant aussi des caractères et des ambitions propres aux animaux – en cela, son récit conclusif, en plus d’apporter un liant à l’ensemble, éclaire sur la question plus vaste de la trace des êtres vivants sur la Terre et celle que s’est arrogée l’espèce humaine.
Graphiquement aussi, Jérémie Moreau s’affranchit d’un design attendu. Choisissant de proposer ce projet aux éditions 2024, plutôt qu’à son éditeur habituel Delcourt, il lorgne un graphisme plus moderne et développe un trait et une mise en couleurs plus simples et efficaces. Mais pas moins vibrants et singuliers. On retrouve dans ce grand format soigné son sens du découpage et du cadrage, moins cinématographiques qu’à l’accoutumée mais sans doute plus poétiques aussi. Jérémie Moreau n’a pas fini de surprendre et d’emmener les lecteurs vers des territoires inconnus, lumineux.
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