Le Grand Large
Ce gros one-shot pourrait recevoir la palme du meilleur début de BD depuis des lustres. Un couple de parents souriants place leur pré-ado de fille dans une barque avec un thermos et une paire de sandwiches, et la pousse au large. Avant de rentrer, hilares, dans leur cabane alors qu’une grosse tempête se prépare. Glaçant. La gamine, écoeurée et apeurée, fait de son mieux au milieu des vagues, aperçoit d’autres enfants, ceux mieux lotis qu’elle dans leur gros bateau à moteur, d’autres déjà en train de couler après le naufrage de leur coquille de noix. Elle finit par recueillir Balthazar et, ensemble, ils tentent de trouver la terre ferme au milieu de cet océan à perte de vue qu’on nomme le Grand Large. Sur une île de plastique, ils trouveront d’abord Agathe, vieille originale tannée par le sel et le sol, qui va leur servir de guide…
Après le remarqué Vague de froid, Jean Cremers développe une fiction étrange, entre conte initiatique adolescent, aventure de SF trépidante et énième variation autour de l’Odyssée d’Ulysse. Son idée de départ est dingue mais épatante : dans un monde entièrement inondé (ou presque), les enfants devenant ados sont contraints d’accomplir leur rite de passage vers l’âge adulte en naviguant seuls pour trouver leur voie à travers les flots. Mais avec les moyens à leur disposition : les pauvres sont quasi condamnés par la faiblesse de leur embarcation. Passé ces premières séquences, le récit prend un autre tour, celui d’un road-movie émotionnel solide, entre Léonie amputée du bras, Balthazar le muet et Agathe et son début d’Alzheimer. Découpé et cadré avec efficacité, le récit, malgré un décor quasi unique, n’ennuie pas. Mais on se demande quand même un peu, au bout d’un moment, à quoi il rime – même si on comprend vite que, classiquement, l’important c’est la route, pas la destination. Les quelques impasses du scénario (le pays des parents dont ne parle plus, l’intérêt contestable du port flottant, véritable cité du vice…) font tiquer, mais pas suffisamment pour gâcher le plaisir de lecture, réel de bout en bout.
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