Le Livre de Léviathan
Bébé sans visage doué de pensées adultes, Lévi observe, s’interroge et voit dans l’eau stagnante des WC le doux clapotis des vagues… Avec chat, son esprit tutélaire, et un lapin en peluche, ils musardent dans les couloirs de l’univers et enquêtent sur son origine, une terra incognita familière et insolite…
Dans Le Livre de Léviathan, recueil de strips publiés dans les années 1990 dans le quotidien anglais The Independent, Peter Blegvad soulève les grandes interrogations et creuse une foisonnante matière du rêve sans jamais être pompeux. Le monde a-t-il un sens ? Quelles sont les vérités éternelles ? Lévi « le chauve », l’humain errant vu de dos, met de l’ordre dans le chaos, s’étonne en philosophe, teste en « pataphysicien », puis élabore une « science des solutions imaginaires ». L’auteur y exprime l’idée d’une humanité renvoyée à l’examen de sa conscience, de ses obsessions, à l’absurdité d’un monde filtrée par le regard naïf d’un poupon bizarrement lucide. Voyez-vous Jésus dans la tortilla ? Le bonhomme dans la lune ? Et Hegel, cet ectoplasme capable de vous prouver ce qu’est le contraire d’un lapin ?
Humour grotesque, paraboles existentielles, jeux sur et avec les mots, la narration métaphysique, rendue légère et accessible par l’excellente traduction, y est d’une richesse sans fin. Le langage visuel, avec des hachures ou des accents de couleur vert et rose, ne l’est pas moins. Dans des strips de taille variable, d’une pleine page à dix cases, synesthésies et trouvailles graphiques ne cessent de dialoguer pour composer une esthétique en rupture : trait remplacé par des mots, jeux de miroir, rimes imagées. Blegvad y développe une petite musique surréaliste constellée d’influences parfaitement digérées : Calvin et Hobbes, Herriman, Ben Katchor et Marcel Duchamp ne sont pas loin. En ressort un monde déformé mais puissant, fascinant même, dont on sort plus libre et apaisé. Œuvre rare et cohérente, cette variation universelle sur le (non-)sens de l’existence, aussi drôle que poétique, est appelée à traverser le temps. Comme ode à la vie et clé pour en saisir toute l’étrange beauté.
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