Le Loup
Gaspard est berger dans les Écrins. Comme chaque été, son troupeau est décimé par les loups. D’un coup de fusil, il tue la louve responsable du dernier massacre, laissant son petit orphelin. Ce dernier grandit, jamais très loin de Gaspard, qui sait l’affrontement inévitable.
Jean-Marc Rochette plante de nouveau son décor dans le massif des Écrins, dans les Alpes françaises, pour ce duel étonnant. C’était déjà le cas de sa BD autobiographique, Ailefroide, publiée en 2018. La montagne y est toujours belle, porteuse d’un imaginaire sans borne, souvent vierge, mais aussi terrifiante, implacable et meurtrière. Rochette la considère comme ses héros : sans jugement de valeur. Il n’y a pas de bons et de méchants. On peut être l’un comme l’autre. Gaspard le berger, solitaire, marqué par la vie, supporte bien la vie en solo pendant 4 mois, accompagné seulement de son chien et de ses bêtes. Il sait aussi se montrer implacable envers les loups et les hommes venus lui dicter les nouvelles règles de la montagne. Le louveteau devenu loup gagne ses instincts de prédateur, et il passe d’orphelin sans défense à tueur programmé. La morale de cette histoire n’est pas la morale sociale ou celle de l’ordre politique car si le berger respecte le loup, ce n’est pas parce qu’il est protégé dans le cadre du Parc national, c’est parce qu’il connaît la montagne et sait lutter pour la survie.
Le trait épais de l’auteur du Transperceneige donne vie à des êtres qui semblent sortir de la montagne, comme des silhouettes juste esquissées, mais qui sont au contraire porteuses d’émotions, tant le trait est choisi avec économie et pertinence. La montagne et la neige occupent, comme toujours dans l’oeuvre de Rochette, une place de premier choix, imposant le silence dans cette BD peu bavarde qui fait la part belle aux images. Rochette ne verse cependant jamais dans le contemplatif (une facilité lorsqu’il s’agit de la montagne), la dynamique scénaristique est implacable et sert ce « thriller » hors norme qui dépasse largement le combat éculé de l’homme contre la nature, ou le discours éco-responsable bien-pensant, pour proposer une voie originale, celle d’un « entre-monde », ni totalement celui de l’acceptation, ni totalement celui du rejet. Celui d’un terrain commun accepté, la montagne.
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