Le Monde à tes pieds
L’Espagne, aujourd’hui. Carlos a un diplôme d’ingénieur, mais faute de job, il bosse comme vendeur dans une boutique de vêtements. Alors, quand on l’appelle pour lui proposer un bon boulot en Estonie, il n’hésite pas, même si ça peut lui coûter son histoire d’amour avec Diego. David, lui, n’a pas les bons diplômes et est au chômage depuis plusieurs années. Il vit chez sa mère, et s’occupe de son grand-père totalement dépendant. Mais une opportunité se fait jour : faire le gigolo pour une bourgeoise frustrée. Enfin, Sara aurait dû avoir une brillante carrière universitaire mais ne peut que survivre en faisant du télémarketing. Trois portraits d’une génération sacrifiée.
Remarqué avec Papier froissé, l’Espagnol Nadar frappe un grand coup avec ce petit mais épais volume à l’italienne, publié par La Boîte à bulles. Avec une grande finesse, il aborde le thème d’une jeunesse qui paye les mauvais choix de gestion politique et les dérives financières des années précédentes, et se retrouve dans une situation sociale de recul. Quand il ne s’agit pas carrément de déclassement, ce terme désignant des femmes et des hommes pouvant aspirer, par leur diplôme notamment, à une bonne situation, mais contraint de travailler en dessous de leurs compétences. Nadar ne propose pas une charge politique, mais développe une photographie à un instant T de cette Espagne en souffrance, qui porte encore en elle les terribles années franquistes et qui se trouve désarmée face à ses enfants désespérés. Ses héros, tout comme ses seconds rôles, sonnent très juste, ils ressemblent forcément à quelqu’un que l’on connaît. Mais Nadar sait instiller la petite dose de fiction pour faire s’élever ses trois histoires (qui ne se croisent pas) au-dessus du plat documentaire. Soutenu par un sens du montage et du cadrage qui évoque le cinéma, et une mise en couleurs soignée, son trait fin oscille entre ligne claire à la Adrian Tomine et semi-réalisme légèrement caricatural, dans un style tenu et cohérent tout du long. L’auteur alterne longues tirades, dialogues bien sentis, silences éloquents, et laisse son dessin parler par une grande précision dans les expressions des visages. Tout participe à servir un sujet sociologique fort, mais délicat à mettre en images. Le pari est réussi avec grande classe.
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