Le Piano oriental
Il y a le « scrouitch » de ses bottines italiennes, le « poc » qu’il produit, en signe de salutation, lorsqu’il frappe son tarbouche (un couvre-chef traditionnel). Abdallah Kamanja vit entouré de sons, et règle celui des pianos du voisinage. Copiste à la gare routière, il ne vit pourtant que pour la musique. Et pour un projet grandiose : inventer et faire fabriquer le premier piano oriental, capable de jouer des quarts de tons… On ne le saura qu’à la fin de l’album, mais c’est la vie de son arrière-grand-père qu’évoque ainsi Zeina Abirached.
L’auteure libanaise (Mourir, partir, revenir, le jeu des hirondelles, Je me souviens) déroule le quotidien beyrouthin du siècle dernier. Elle se met aussi largement en scène, évoquant son rapport à ses deux langues maternelles, le français et l’arabe, étroitement mêlées en elle ; son arrivée à Paris ; son acquisition de la nationalité française… D’abord un peu déroutant, ce parallèle entre un destin du passé et un autre très contemporain finit par convaincre. C’est que, comme son ancêtre, Zeina interroge l’expression d’une sensibilité à travers une langue (celle d’Abdallah étant musicale). Elle creuse l’appartenance à une société, un pays, une ville. Dit son trouble, sa peine parfois à communiquer. Ces deux parcours, elle les dessine admirablement. Certains penseront encore, en la lisant, à Marjane Satrapi (et plus particulièrement à Poulet aux prunes). D’autres oublieront cette référence, emportés par son usage fluide du noir et blanc, ses motifs vertigineux, son inventivité graphique.
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