Le Premier Homme
Quand Albert Camus meurt dans un accident de la route le 4 janvier1960, il laisse dans la sacoche qui l’accompagnait le manuscrit inachevé de ce qui devait être une trilogie, une grande épopée sur les Français en Algérie. Ce n’est que 34 ans plus tard, en 1994, que le manuscrit est publié, sur l’impulsion de sa fille Catherine. Ratures et phrases non terminées comprises, soit un Albert Camus “tel qu’il était, sans retouches”, écrit dans la préface de l’album Alice Kaplan, docteure en littérature française.
Avant de s’attaquer à ce monument posthume, le dessinateur Jacques Ferrandez s’est déjà frotté par deux fois à l’œuvre de Camus: il est auteur des adaptations en bande dessinée de L’Hôte (2009) et L’Étranger (2013). Lui-même n’a eu cesse, au fil de son œuvre, de labourer l’histoire de son Algérie natale, notamment dans ses Carnets d’Orient, qui retracent l’histoire du pays depuis sa conquête en 1836, jusqu’à son indépendance à la fin des années 1950.
Dans Le Premier homme, Camus part sur les traces de son enfance dans l’Algérie française sous les traits d’un écrivain fictif, Jacques Cormery. Alors que les troubles se font de plus en plus présents, l’écrivain, désormais installé en métropole, revient au pays, retrouve sa mère, distante et sourde, et cherche des témoins qui auraient connu son père, mort dans la bataille de la Marne alors qu’il n’avait qu’un an. Le passé resurgit, et avec lui la sévérité de sa grand-mère, mais aussi l’école et son professeur bienveillant, rappelant la pauvreté et la dureté de son enfance malgré tout heureuse de « petit-blanc ».
Ces résurgences s’imbriquent en une série de chapitres, telle une mosaïque chronologique. On retrouve le trait classique et l’aquarelle lumineuse du dessinateur, dont les lumières brûlées disent la touffeur d’Alger et son ambiance de plomb. Les souvenirs d’enfance sont touchants, justes. Mais s’il mêle adroitement passé et présent, on peut regretter un côté un peu figé du récit, abreuvé par la plume tourmentée de Camus, ainsi que par un manque d’expressivité des personnages principaux. C’est quand l’encrage se fait plus discret que la puissance des aquarelles de Jacques Ferrandez peut se déployer en toute fluidité.
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