Le Rapport W
En 1940, sous une fausse identité, l’officier polonais Witold Pilecki se laisse interner au camp d’Auschwitz. Sa mission : bâtir un réseau de résistance, pour déclencher un soulèvement le moment venu. Au fil des mois, entre les privations, les coups, et la menace quotidienne d’être exécuté, il regroupe en secret quelque 300 membres, et fait passer à l’armée secrète polonaise des rapports, de plus en plus alarmants sur les massacres en cours dans le camp. Mais l’aide extérieure nécessaire au soulèvement ne viendra jamais.
Après deux livres très remarqués (Soleil brûlant en Algérie et Capitaine Tikhomiroff), Gaétan Nocq se lance dans l’adaptation des rapports de ce soldat polonais, infiltré dans le camp de concentration d’Auschwitz, et qui alerta, de l’intérieur et avant tout autre, du génocide qui s’y déroulait jour après jour. Les écueils étaient nombreux à tel projet : le défi du huis clos pour auteur habitué aux récits en mouvement, l’indicible horreur de la machine de mort nazie avec ses chambres à gaz et ses fours crématoires qui fumaient sans discontinuer, la reconstitution historique et un récit finalement quasi exempt d’action. Force est de constater que sur ces quelque 250 pages, l‘auteur s’en tire brillamment. Pour ne jamais ennuyer, il joue avec une grande habileté de la taille et de la forme des cases (rarement plus de six par page), pour insuffler un rythme propre à chaque séquence. Il cherche aussi à mettre en valeur la nature autour du camp, froide, hostile, mais aussi lumineuse et porteuse d’espoir – une idée originale et excellente. Il brosse des gros plans de souffrance mais jamais larmoyants, évitant les regards, ne s’appesantissant pas non plus sur les corps amaigris, dont la simple esquisse d’une silhouette flottant dans les pyjamas rayés suffit à évoquer la douleur. Et il habille ses dessins au crayonné puissant de couleurs inattendues, ocre, rose, mauve, bleu électrique, dans un effet de sfumato réussi, posant des ambiances comme surnaturelles. Au-delà de son grand intérêt de reconstitution historique (on apprend plein de choses sur la construction d’Auschwitz-Birkenau et le quotidien à l’intérieur), l’album de Gaétan Nocq émeut par ce récit juste et sobre de descente aux enfers volontaire, qui voit son héros survivre mois après mois, comme par miracle, en attendant en vain un message de l’extérieur. La foi en sa mission et la minutie du travail de cet espion ne peuvent qu’être admirées. Et la bande dessinée qui lui rend hommage également.
Publiez un commentaire