Le Roman de Boddah
Kurt Cobain joue dans son coin, compose des chansons de génie et fonde un groupe, Nirvana, quand il ne carbure pas à l’héroïne. Entre pensées torturées, solitude aliénante, coups d’éclat et concerts mythiques, il laisse un peu de place à Courtney Love, son seul amour… Mais suicidaire et maniaco-dépressif, il se noie dans les drogues et tente de se sauver par le rock. Peine perdue, Boddah l’aura tué. Qui ça ? Boddah, son ami intime, son double psychique…
Le Roman de Boddah, adapté du livre d’Héloïse Guay de Belissen, offre une plongée dans les recoins d’une conscience torturée. Celle de Kurt Cobain, leader de Nirvana, groupe rock culte des années 1990 qui doit beaucoup à l’aura quasi mystique de son chanteur, qui est à la musique et au rock ce que David Foster Wallace est à la littérature : un mythe qui porte en lui sa propre légende, fruit d’une carrière aussi brève que fulgurante.
Et forcément Nicolas Otero (AmeriKKKa, Uchronie(s), Le Sixième Soleil) choisit ici d’interroger le personnage et sa carrière pour tenter d’en percer le mystère : humiliations paternelles, gloire imprévue, surplace dépressif, cures de désintox, amour fusionnel avec Courtney Love… Otero décrit une vie d’excès, sonde l’âme d’un écorché vif qui tente d’échapper aux compromis et au réel pour mieux transcender sa condition autodestructrice. Oscillant entre réalisme et fiction à l’appui d’un découpage vif, usant d’une voix-off aussi nerveuse et entrecoupée de dialogues existentiels ou ordinaires, Otero introduit à un mythe, cerne la mystique du chanteur via des moments improbables : l’épisode des curly, le concert à Nulle Part Ailleurs, à MTV (Unplugged)…
Mais la relation Cobain-Courtney Love occupe trop de place dans l’album. Du coup, certains passages ou textes dissonent, car on peine à imaginer le suicidaire en lover transi. Là où Otero intéresse davantage, c’est moins dans le biopic que l’évocation d’une image, moins dans le réalisme documentaire que dans le symbole. Et à ce titre, la figure de Boddah, un peu lourde mais bien sentie, offre une porte d’entrée sur le vide d’une époque et un homme-épave aveugle à son sort. Du respect, de la pudeur, du dynamisme, le style semi-réaliste d’Otero en a beaucoup, s’autorisant, sans juger ou surjouer, des échappées à l’onirisme douloureux. Au final, un album inégal mais attachant que l’on aura tout loisir de prolonger avec Last Days, le génial film de Gus Van Sant (2005).
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