Le Voyageur
Sans nom, sans personnalité, un homme fait de l’auto-stop le long de routes sans fin. En plein désert assoiffé, au détour d’une forêt pluvieuse ou avant une rave cauchemardesque. Voyageant sans but précis, il rencontre quelques excentriques : un fou de Dieu, des fêtardes libérées, un livreur désargenté, une jeune femme schizophrène et même des Indiens. Tous vivent dans un monde courant à sa perte, cernés par les catastrophes et les fléaux célestes. Le voyageur, lui, témoin du déclin et du temps qui passe, porte un fardeau : celui de l’immortalité…
Après l’excellent Abaddon, les non moins réussis Coupes à cœur et Love Addict, l’auteur d’origine israélienne Koren Shadmi revient avec Le Voyageur, un récit de SF découpé en petits chapitres où il sonde le désir d’éternité au prisme de la mort et des maux contemporains : raréfaction de l’eau, cupidité des hommes, catastrophes « naturelles »… Un témoin et même un passeur traverse les lieux et les siècles en quête de l’origine de sa malédiction. Car voilà, il ne meurt jamais malgré les balles, les coups de couteaux et les accidents de voiture. Immortel privé d’identité (peut-être le locataire d’Abaddon?), il est le spectateur naïf et impuissant de mutations crépusculaires.
Shadmi, une fois de plus, intrigue par ses mystères et sa science de l’évocation, posant davantage les questions qu’il n’y répond. Mais sans esbroufe. Il suggère ainsi le mal sans le montrer frontalement (voir la puissante séquence du « livreur d’eau »), pointe silencieusement les responsabilités, sonde les conséquences – réflexes cannibales, éternel retour de la violence, sociétés sans mémoire, sentiment de perte –, mais surtout envoûte par ses ambiances chromatiques différentes selon les époques, et son dessin immersif, captant des existences sur le fil. Ville futuriste, désert apocalyptique, train hors du temps, Shadmi fait voyager intelligemment, interrogeant le monde dans sa fuite éperdue vers le désastre. Un pessimisme existentiel d’ailleurs pas si fataliste au regard de la dernière planche. La mort ou l’éternité ? À méditer.
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