Le yuri, manga lesbien et mal aimé en France
Shôjô, shônen, seinen, gekiga, salary men, yaoï… Vous pensiez avoir fait le tour des différents styles de mangas existant sur le marché français ? L’éditeur Taïfu Comics défriche un genre encore peu développé chez nous: le yuri, ou manga lesbien.
Au Japon, les mangas sont segmentés de manière plus ou moins précise, avec des catégories désignant à la fois un genre de récit, mais aussi le type de public visé. Par exemple, le seinen s’adresse à un lectorat adulte via des histoires complexes, parfois très violentes ou abordant des sujets de société comme la politique, l’histoire, la criminalité urbaine, etc. Cependant, ces dernières années, certains genres se confondent et des mangas comme Black Lagoon (Kazé) se positionnent comme le chaînon manquant entre shônen (ado garçon) et seinen (adulte donc).
A l’occasion de la sortie de Girl Friends de Milk Morinaga, penchons-nous sur les trois sous-catégories d’un genre peu présent en France : le yuri, manga lesbien. Des sous-catégories allant crescendo dans l’intensité de la relation décrite: simple amitié ambiguë, découverte de l’homosexualité, et relation assumée entre filles.
Trois sous-genres
Le shôjô aï
Selon certains, ce terme a été créé non pas au Japon, mais aux États-Unis. Généralement, le manga shôjô – à destination des jeunes filles – aï (amour) met en scène des relations amicales fortes, voire ambiguës, entre plusieurs personnages féminins. Ce genre de sous-entendus est assez répandu dans de nombreux mangas grand public et joue sur l’imaginaire fantasmatique du lecteur hétérosexuel, qui se fait alors ses propres films sur le thème « et si…? », à tort où à raison.
Le yuri
Là aussi, il s’agit de mangas jouant sur l’ambiguïté des amitiés entre femmes. Mais cette fois, les sentiments sont plus forts et débouchent souvent sur des déclarations franches entre les différentes protagonistes. Un palier est franchi, et peut servir de transition à la sous-catégorie suivante.
Le lesbien
Cette fois, les relations homosexuelles entres les héroïnes sont explicites. Ces dernières peuvent même mener une vie de couple.
De subtiles différences
L’une des principales différences entre les genres yuri et lesbien est que le premier reste plus accessible à un lectorat hétérosexuel. Attention, il ne s’agit pas de stigmatiser le manga lesbien en l’érigeant en porte-drapeau militant de l’homosexualité féminine. Pour utiliser une comparaison crue, ce serait comme la différence entre un film érotique avec une scène lesbienne propre à faire fantasmer le public hétérosexuel (généralement masculin) et un film lesbien contenant une scène érotique possédant une sensibilité plus «féminine». Idem dans la description des sentiments amoureux, des expressions, des regards, de l’évolution psychologique des personnages…
Est-ce une question de mise en scène, de sensibilité culturelle, de codes propres à une communauté gay ? Difficile de répondre en tant que rédacteur hétérosexuel de cet article. Le manga lesbien reste tout de même accessible à un lectorat non gay, mais ne jouera pas de la même façon avec ses fantasmes, ou même son ressenti quant au vécu des personnages face à l’amour, la haine, la jalousie, la passion, le doute…
Cette catégorisation n’est pas parole d’évangile et le débat reste ouvert entre les fans. Certains ne font pas la différence entre le shôjô aï et le yuri, tandis que d’autres ne séparent pas le genre yuri du lesbien. Néanmoins, on peut noter que, quelle que que soit la sous-catégorie citée, ce type de manga joue avec des styles très variés comme la comédie, le thriller, le fantastique, la SF, l’historique. De plus, dans le yuri et le lesbien, les relations peuvent êtres montrées de manière très chaste (un regard, un baiser), ou très crue (acte sexuel).
Quelle place sur le marché français ?
Le genre lesbien avait déjà trouvé une petite place en France, via les délicats titres d’Ebine Yamaji édités chez Asuka (Free Soul, Indigo Blue, Love my life…), décrivant la vie quotidienne de femmes découvrant leur homosexualité avec plus ou moins de bonheur. Ces mangas sont restés des succès discrets, et le genre yuri a été jusque là bizarrement boudé par les éditeurs français, prétextant un trop faible potentiel commercial. Pourtant, comme énoncé plus haut, de nombreux mangas grand public contiennent des relations de type shôjô aï. Serait-ce là de la fausse pudeur pour faire fantasmer le lecteur mâle… mais pas trop ?
En tout cas, avec Girl Friends, Taïfu Comics se lance en grande pompe dans le yuri, ouvrant sans doute la voie à d’autres. Dans cette série, Mariko est une lycéenne très timide qui, au contact de son énergique camarade de classe Akiko, va clairement s’épanouir et s’ouvrir au monde extérieur. Petit à petit, Mariko va ressentir un étrange sentiment, bien plus fort qu’une simple amitié.
Le point fort de Girl Friends, outre son graphisme rond et mignon, est que le récit se déroule de manière très fluide. Nous suivons la vie quotidienne de ces jeunes filles découvrant la joie simple d’être ensemble. L’ambiguïté d’une relation de type shôjô aï est ainsi à peine effleurée et, au final, on est d’autant plus surpris – comme l’héroïne – par la découverte d’un sentiment amoureux naissant !
Certes, le premier volume n’est pas d’une originalité folle, notamment au niveau des péripéties. Les gags restent convenus mais bon enfant, la psychologie des personnages féminins sonne juste mais souffre d’un manque d’aspérités. Cependant, le charme opère par une mise en scène esthétique propre aux shôjô mangas, et grâce à des protagonistes tendres et attachants. Enfin, on est très curieux de connaître la suite, notamment grâce au cliffhanger qui clôt le premier épisode…
Kara
Merci à Olivier Chamaillard de la boutique Little Tokyo à Paris.
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Girl Friend #1-2.
Milk Morinaga.
Par Taïfu Comics, 7,95 €, T2 le 7 avril 2011 (et T3 annoncé pour juin).
On peut lire un extrait du tome 1 ici.
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Images © Milk Morinaga – Fukabasha Publishers Ltd – Taïfu Comics
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