L’Écran blanc
Dans le métro aux couloirs placardés d’affiches « Nous avant tout », Salvo, jeune architecte italien, croque les visages d’inconnu·es dans un petit carnet. Il commence toujours par le nez, et s’efforce de rester discret. D’abord parce que les gens ne trouvent jamais ses dessins très ressemblants (ils sont esquissés au gré des tressautements de la rame). Et surtout, mieux vaut faire profil bas quand on est étranger dans un pays gouverné par une femme raciste et autoritaire, présidente de la VIe République.
Dans ce Paris d’un futur proche, Salvo et ses collègues fraîchement diplômés sont exploités par Auguste, le directeur de l’agence d’architecture. Les jeunes gens se serrent les coudes. Salvo est même devenu le petit ami de Sistine Legrand, fille de Philippe Legrand, lui aussi célèbre architecte, dont la disparition quelques années plus tôt n’a jamais été élucidée.
Le jeune homme est inquiet. Depuis quelques temps, sa copine se lève souvent la nuit pour rejoindre son groupe d’activistes. Un message est envoyé au dernier moment sur les téléphones portables, et les membres se rejoignent pour des opérations pacifistes, réclamant plus de justice sociale. Face à la répression policière, ils lèvent leurs écrans de téléphone et filment, tous ensemble. D’où leur nom : Écran blanc. Sous ce régime réactionnaire, tous les moyens sont bons pour arrêter les protestataires ; il faut prendre un maximum de précautions.
Or, Sistine et Salvo se sont disputés. Le lendemain, ils se retrouvent sur le quai du métro, mais chacun est monté à une extrémité opposée de la rame. Quelques arrêts plus tard, Salvo descend à l’arrêt proche de l’agence. Pas de Sistine. Quelques minutes plus tard, l’info arrive : un attentat a eu lieu sur cette ligne de métro, faisant plusieurs victimes. Est-il lié au mouvement Écran blanc ? Jusqu’alors, ces activistes n’avaient jamais eu recours à la violence pour exprimer leurs revendications contre le régime politique…
Dix-neuf chapitres retracent toute l’histoire, parfois avec des bonds dans le temps. De l’avant-veille du drame jusqu’aux jours suivants, Salvo passe par toutes les émotions et tente désespérément de retrouver la trace de son amie, en espérant qu’elle n’a pas commis la folie de participer à cet attentat.
Le jeune auteur italien Enrico Pinto, dont c’est le premier album, aborde avec cette fiction la situation préoccupante de la montée des extrémismes en Europe, qu’ils soient du côté du gouvernement ou des militants. Faut-il répondre à la violence par la violence ? Où placer le curseur de l’activisme politique ? Comment faire réagir un peuple aveuglé par la propagande, surveillé et réprimé par les forces de l’ordre, qui n’hésitent pas à falsifier les faits pour servir leurs intérêts ?
C’est aussi une balade en noir et blanc à travers les rues de Paris : ses bâtiments haussmanniens, la BnF et ses recoins secrets, les lignes aériennes du métro… Enrico Pinto promène son crayon avec l’habileté d’un architecte (sa formation), variant les compositions au gré des pérégrinations de ses personnages ; on lui pardonne alors volontiers une petite fragilité pour dessiner les visages, pas toujours fidèles.
Une histoire suffisamment crédible pour ouvrir des pistes de réflexion et de discussions. À commencer au sein du jury du festival d’Angoulême, puisque L’Écran blanc fait partie de la sélection officielle de l’édition 2025.
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