Juillet 1940. En pleine expansion militaire dans l’est de l’Asie depuis la décennie précédente, le Japon est un pays qui se referme progressivement sur lui-même pour soutenir l’effort de guerre et parer à la Seconde Guerre mondiale qui est plus que jamais à ses portes. Yasuku fait du commerce international, alors forcément, il est impacté par les mesures drastiques que prend le gouvernement au fil des mois. L’horizon est morose, mais il semble s’éclairer quand il a la possibilité de se rendre en Mandchourie avec son neveu Fumio… Néanmoins, ce voyage d’affaires ne sera semble-t-il pas que prétexte au commerce !

Contrairement au titre français, le titre japonais ne laissait que peu de place au doute. Spy no Tsuma, « L’épouse de l’espion », est un récit d’espionnage. Quand on prend l’histoire sous cet angle, sans se centrer sur ce qui pourrait être une révélation fracassante, force est de constater que toutes les pièces du puzzle narratif semblent judicieuses. En outre, Masasumi Kakizaki parvient totalement à contextualiser, synthétiser et dynamiser le scénario d’origine de Ryusuke Hamaguchi (élève d’Akira Kurosawa et Prix du scénario au Festival de Cannes 2021). Il prend ainsi le temps de décrire la situation historique du Japon et du monde tout en dévoilant la périlleuse position dans laquelle se trouve ce couple.

Bien qu’il soit touche-à-tout, on n’avait encore jamais vu le mangaka s’aventurer dans une telle romance historique. En adaptant le film éponyme de Kiyoshi Kurosawa (sacré Lion d’argent – Prix de la mise en scène à la Mostra de Venise 2020) après son western Green Blood, son récit fantastique Bestiarius ou son récit horrifique Hideout, il surprend une nouvelle fois par son appropriation du genre. Il arrive à tirer parfaitement profit de sa singularité pour en faire une force de ce manga au réalisme tragique. Et il est étonnant de voir comme son dessin en clair-obscur si caractéristique s’adapte avec évidence à l’époque et à la noirceur psychologique du récit.

En plus de démontrer une nouvelle fois sa faculté à se fondre et s’approprier tous les styles, Masasumi Kakizaki signe ce qui est sans aucun doute son œuvre la plus posée. Lui qui nous a habitués à retranscrire les émotions à renfort de mise en scène et de pathos particulièrement expansifs prend ici le total contre-pied. Tout en retenue, ce premier tome des Amants sacrifiés est d’une contenance stupéfiante, d’autant plus que ce thriller d’espionnage, conjugal et politique aurait pu prendre des atours bien plus sensationnalistes.

SPY NO TSUMA © 2020 Masasumi KAKIZAKI, Ryusuke HAMAGUCHI, Tadashi NOHARA, Kiyoshi KUROSAWA / SHOGAKUKAN