Les auteurs de BD alertent la ministre sur la paupérisation de leur métier
Le mot court depuis quelques temps dans le milieu de la bande dessinée. Paupérisation. Oui, la grande majorité des auteurs de BD vivent mal, avec des rémunérations en baisse et un marché du numérique incertain qui ne leur promet pas de gagner davantage à court terme. Et le projet d’augmenter les cotisations de retraite complémentaire vient de faire déborder le vase.
Le régime de retraite complémentaire de retraite des artistes auteurs professionnels (RAAP) n’exigeait jusqu’ici qu’une cotisation minimale de 200 € annuels. Or, il vient d’annoncer à ses adhérents une nouvelle forme de cotisation à compter de janvier 2016 : 8% des revenus. C’est contre cette mesure « inacceptable et inapplicable » que le groupement BD du Syndicat des auteurs (SNAC) s’élève, en écrivant une lettre ouverte à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Car ponctionner 8% de revenus déjà très faibles va, selon les près de 750 auteurs signataires (un nombre significatif, car il n’y aurait que 1500 auteurs vivant de leur travail en Europe francophone, selon le dernier rapport Ratier), pousser de nombreux auteurs à jeter l’éponge.
Voici un extrait de la lettre:
« Même si nous sommes évidemment favorables à un système solidaire des retraites, et ne sommes pas à ce titre opposés à une réforme juste, mesurée et concertée, croyez-vous que les auteurs pourront, en plus de leurs autres sacrifices, se priver de 8 % de leurs revenus afin de s’acquitter de nouvelles cotisations sociales ? Ceci représente l’équivalent de presque un mois de revenus, alors que la plupart d’entre eux ne gagnent pas assez pour payer des impôts et peinent à boucler leurs fins de mois.
Nous vous rappelons, Madame la Ministre, que le revenu de la moitié des auteurs de BD se situe (hélas) bien en dessous du SMIC. Il est urgent que cette réalité soit prise en compte, avant de réformer quoi que ce soit. Depuis l’annonce de cette réforme, des auteurs, certains très précarisés, d’autres ayant vendu des centaines de milliers de livres, ont déclaré qu’ils abandonnaient le métier. Ils sont écoeurés, fatigués et ne croient plus en des lendemains meilleurs alors qu’ils sont les premiers acteurs, et pourtant les plus mal lotis, de la chaîne du livre. Au rythme où vont les choses, leur exemple sera bientôt suivi par de nombreux confrères. » (lire l’intégralité de la lettre ici)
Le cas récent le plus frappant de ces auteurs « écoeurés » est celui de Bruno Maïorana, dessinateur de Garulfo ou de D (dont le 3e tome vient de sortir), qui a annoncé sur Facebook et dans Sud Ouest son découragement à continuer une activité « qui n’est pas viable ». Il n’est pas le premier, il n’est pas le seul (Philippe Bonifay a dit qu’il arrêtait également, quelques jours après), mais l’annonce de cette « retraite forcée » par un auteur estimé et qui vend davantage que d’autres, est saisissant.
De son côté, Xavier Mussat, qui vient de publier Carnation (sur lequel nous reviendrons), a diffusé un texte pour évoquer cette situation et le risque qu’elle fait naître: « Demain, ceux qui appartiennent à cette profession d’auteur en ne se consacrant qu’à la production de livres seront obligés de diversifier leurs activités pour pouvoir vivre un minimum décemment. Ils seront contraints d’apprendre à faire d’autres choses, n’auront finalement plus le temps, s’éloigneront de leur pratique artistique et finiront par devoir renoncer. Bruno Maïorana est l’exemple même du travailleur engagé corps et âme dans cette activité, qui se lève tôt le matin, se met sur son outil de travail et ne cesse de produire avant une heure tardive. C’est un travailleur que le sens de l’honneur pousse aujourd’hui au refus de la précarisation. Sa retraite annoncée devrait avoir une immense résonance. Parce que sa présence et son succès dans la bande dessinée signifient déjà quelque chose d’important : la possibilité pour un homme ou une femme issus « de la base » d’accéder aux métiers de la culture et de créer une œuvre importante, d’une immense qualité et d’en vivre. Si demain la décision du RAAP est appliquée, combien d’auteurs me rejoindront dans ce modèle économique alternatif, combien seront contraints de laisser de côté leur métier d’auteur pour chercher d’autres issues ? C’est bien de la survie d’une profession dont il est question. A quelle classe sociale faudra-t-il appartenir pour envisager de produire sereinement des livres ? Demain, ne feront des livres au gré de leur plaisir que ceux pour qui cette activité sera déconnectée des nécessités financières : une classe bourgeoise privilégiée. L’heure me parait donc grave car ce que porte en elle la fragilisation des professions d’auteurs, c’est la confiscation du droit à produire de la matière culturelle. »
La lettre du syndicat des auteurs se conclut, quant à elle, ainsi : « Les auteurs signataires de cette lettre souhaitent […] engager une action de concertation constructive avec leurs interlocuteurs […], à partir du moment où des garanties d’écoute réciproque existent. Dans le cas contraire, nous envisageons, dès septembre 2014, l’organisation d’actions collectives et médiatiques de blocage ou d’opposition par toutes les voies légales autorisées. Les idées ne manquent pas. Après tout, c’est notre métier. »
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