Cherry est mariée à un homme vaniteux et possessif, mais qui l’aime prétend-il, au point de ne pas la toucher, conformément au désir de la jeune femme. Mais c’est parce que cette dernière aime en secret sa servante, Héro. Elles aimeraient pouvoir s’enfuir, mais le maître lance un défi à l’un de ses amis : il lui laisse cent jours et cent nuits pour séduire son épouse, dont il est convaincu de la droiture et de la chasteté. Les deux amantes décident de repousser l’échéance en envoûtant le concupiscent ami par des histoires incroyables.

Isabel Greenberg nous avait déjà enthousiasmés avec son Encyclopédie des débuts de la Terre. La voilà qui confirme de manière brillante, avec cette réinterprétation des Mille et une nuits, en mode européen et féministe. Afin d’éviter de voir son amante se faire violer par un homme vicieux, caricature du bourgeois macho et avide des récits médiévaux, Héro va enchaîner les contes fascinants, souvent à tiroirs, qui se répondent et se rejoignent par une thématique puissante : les femmes en lutte contre la tyrannie des hommes. Au fil de ces histoires se construit un monde sombre – guerre, privation, solitude, violence, manipulation – largement inspiré par le folklore et les contes classiques européens, mais dans lequel la jeune Anglaise insuffle son énergie toute solaire. Car elle tord et détourne les récits connus pour remettre ses femmes dans une position active d’héroïnes et non passive de jolies princesses rêvant au prince charmant. Avec son trait anguleux évoquant la gravure, et ses textes abondants et écrits tout petit, l’album peut paraître froid et hermétique au premier abord. Mais une fois qu’on se laisse bercer par cette succession de récits merveilleux, notre coeur bat au rythme de cet univers certes glacial, mais où l’espoir et l’amour pétillent dans les yeux de jeunes femmes prêtes à renverser l’ordre établi. Avec le seul pouvoir des mots et de leur transmission orale. Isabel Greenberg y ajoute sa palette de couleurs douces et son ton pince-sans-rire. Magique.