Les Crieurs du crime
Paris, 1907. Une petite fille disparaît du côté d’une salle de spectacle. Son corps sera ensuite retrouvé dans une consigne. Les soupçons se portent sur le voisin, un certain Albert Soleilland. Alors que la France sort à peine du feuilleton médiatico-judiciaire de l’affaire Dreyfus, les journaux mettent le paquet sur la couverture de ce faits divers, et de tant d’autres, car ça vend, tout simplement. Sans imaginer que c’est alimenter ainsi la machine à peur et à fantasme, qu’on appellera plus tard le « sentiment d’insécurité ».
Le défi était de taille : comment aborder, dans une bande dessinée, un sujet historique et sociologique aussi délicat que le lien entre le traitement des faits divers par la presse et le développement du sentiment d’insécurité, jusqu’au débat sur la peine de mort, sans tomber dans le piège du cours magistral illustré ? Sylvain Venayre, historien qui avait dirigé la collection « Histoire dessinée de la France » (La Découverte/La Revue dessinée), a trouvé la solution en imaginant un personnage de journaliste et sa collègue illustratrice afin, à travers leurs journées de travail comme leurs discussions plus intimes, de mettre en lumière ce vaste propos. Et cela fonctionne plutôt bien : malgré quelques séquences aux dialogues un poil trop écrits, pour faire passer des infos et des mises en contexte, le scénario est suffisamment fluide et les protagonistes solides pour offrir une lecture plaisante et passionnante (saviez-vous qu’à l’époque on pouvait aller admirer librement les cadavres à la morgue le dimanche?), loin de l’essai trop dense auquel on aurait apposé des images.
Le dessinateur Hugues Micol est pour beaucoup dans cette réussite : sa représentation très picturale du Paris de la Belle Époque, nourrie de la peinture de ces années-là, est convaincante et vibrante, jamais figée dans la naphtaline ou l’hommage rigide. Ses trognes vivantes, ses couleurs contrastées, son goût du détail et ses belles vues en double-page de la vie quotidienne parisienne donnent à l’ensemble une patine délectable. Le pari était de taille, il a été joliment relevé.
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