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Etre Dominicain à Castres en ce temps là était un tantinet salissant (c) Delcourt
INQUISITOR TERMINATOR
En ces temps où il est courant d’entendre de barbus ayatollahs promettrent que le feu du ciel (enfin du leur) viendra incessamment nettoyer la terre de tous les impies qui ne croient pas aux préceptes de Dieu (enfin du leur), il est opportun de rappeler que la religion catholique a dans le passé traqué par le fer et le feu les mécréants, déviationnistes et adeptes d’autres croyances de tous poils. Contre l’ennemi extérieur, le fer fit merveille, pendant les croisades par exemple. Contre l’ennemi intérieur, on utilisa une technique d’éradication fort efficace basée sur la torture et le bûcher. On brûla beaucoup au Moyen-Âge. C’étaient des hommes de Dieu (enfin du nôtre), les Dominicains, qui soignaient ainsi par les flammes tous ceux qui préféraient les chemins de traverses de la foi au chemin de croix du Christ, estampillé alors voie unique. On les appelait les inquisiteurs. Ils tenaient leur pouvoir directement de Rome.
Nicolas, le jardinier de Dieu, brûle les mauvaises herbes (c) Delcourt
Deux BD les mettent en scène. La première reprend Nicolas Eymerich (1), la célèbre série de Valerio Evangelisti (un nom pareil, pour un sujet pareil, ça ne s’invente pas). Elle se déroule dans la première moitié du XIVe siècle et mêle habilement grandes peurs d’hier et d’aujourd’hui. Dans Le Corps et le Sang, troisième titre de la série, l’inquisiteur Nicolas Eymerich vient mettre de l’ordre à Castres, ville censée grouiller d’adeptes de l’hérésie cathare (2) soupçonnés de propager une maladie mortelle. Eymerich va découvrir que ces croyances honnies cachent des pratiques et des maléfices qui auraient séduit Lovecraft. En parallèle, Evangelisti dénoue les fils du complot qui mènera à l’assassinat de président Kennedy en 1963. Tout commence par les projets d’un savant fou américain -fou mais très écouté par des pontes de la CIA- qui rêve de répandre une épidémie qui serait fatale à tous les noirs des États-Unis…
Jorge Zentner, au scénario, a la délicate mission de ne pas noyer le dessin de David Sala sous le texte. Mission difficile si l’on veut respecter l’esprit des romans. Mais mission réussie. L’album est fidèle au livre, tant par l’écriture que par le dessin qui correspond parfaitement au personnage d’Eymerich, sec comme une trique, hautain et persuadé que, pour défendre le royaume de Dieu sur terre, tous les moyens sont bons. Et surtout les pires.
Le lecteur s’en apercevra lors du second et dernier tome du Corps et le Sang qui se conclut sur le traitement de cheval que l’ayatollah, pardon l’inquisiteur Eymerich, appliquera à la ville maudite. Le récit, dans le livre, prend littéralement le lecteur à la gorge, le faisant basculer dans un monde cauchemardesque digne des pires rêves nazis. Les auteurs de la BD réussiront-ils à faire passer cette émotion ? Et à rendre clair le message qu’Evangelisti veut faire passer dans les romans en mettant en scène un tel personnage ? Réponse – espérons-le – dès 2007, ce genre de récit supportant mal les longues attentes…
Eymerich n’a, semble-t-il, qu’un seul talon d’Achille : il ne supporte pas le contact avec les autres êtres humains ou toute forme de vie. La peur de quelques minuscules bestioles se baladant sur sa couche suffit à le faire dormir sur le carrelage ou la terre battue. Ce n’est pas le cas d’un autre inquisiteur, le jeune Antoine Sèvres, qui sévit un siècle plus tard dans la France de François 1er. Sa deuxième aventure, Aux portes de l’enfer (3), parue dans la collection polars à travers les âges des Humanos, l’amène par une nuit sans lune au fin fond de l’Isère. Il chutera dans une grotte et découvrira le squelette d’une femme, jeune religieuse bénédictine du couvent voisin. Un drôle de couvent où les filles de dieu cultivent le chanvre – pour en faire des cordes mais aussi pour planer plus près du seigneur- et dont certaines n’hésitent pas à prouver que leurs robes, aussi austères que celles des femmes voilées d’aujourd’hui, cachent de bien jolies choses qu’il serait dommage d’ignorer. L’inquisiteur Antoine saura les dévoiler. Dominicain, mais câlin.
Si le canevas de Laurent Rullier semble au départ dramatique, le dessin clair et expressif de Alessio Lapo – malheureusement recouvert de cette couleur marron caca informatique qui est à la BD d’aujourd’hui ce que l’algue verte est aux plages bretonnes – désamorce les tensions et privilégie les sous-entendus. Cet inquisiteur-là est très fréquentable, contrairement à Eymerich. Mais hélas, beaucoup moins crédible.
1) Nicolas Eymerich inquisiteur # 3 : Le Corps et le Sang, par David Sala, Jorge Zentner, Delcourt, 12,90 euros. Les romans de Valerio Evangelisti sont publiés en grand format chez Rivages et chez Pocket.
2) Ça tombe bien, les Cathares, comme les Francs-maçons et les Templiers sont les marronniers de la presse d’été. Si donc vous souhaitez en savoir plus sur l’hérésie cathare – qui revient à la mode- sans vous plonger dans de gros volumes, procurez-vous Le Point du jeudi 17 août n° 1769 qui publie un dossier très clair et très complet sur ces religieux un brin psychorigides qui voulaient en revenir aux sources du catholicisme.
2) Antoine Sèvres # 2 : Aux Portes de l’enfer, par Alessio Lapo et Laurent Rullier, collection Dédales, Les Humanoïdes Associés, 10,40 euros.
Frère Antoine et soeur Ysoline en pleins travaux d’approche (c) Les Humanos
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