Les Deux vies de Pénélope
Pénélope est médecin et travaille dans l’humanitaire. Jamais chez elle, toujours en zone de guerre. Ou presque. Car de temps en temps, après des mois les mains dans le sable et le sang, elle rentre en Belgique, retrouve son mari, sa fille, sa soeur. Mais c’est de plus en plus dur de renouer les fils. Avec son homme, qui maintient l’équilibre familial grâce à une bonhomie naturelle. Avec sa soeur, qui lui reproche sans cesse son éloignement et sa vision déformée du monde. Avec sa fille surtout, qui grandit sans elle, bien obligée. Pénélope a deux vies : celle de son travail, qui la suit partout même quand elle s’en éloigne, symbolisée par ce fantôme d’enfant qui hante sa valise ; et celle de sa famille, qui file sous ses yeux sans qu’elle y comprenne quelque chose. Mais peut-on vraiment avoir deux vies ?
Après le touchant David, les femmes et la mort et le puissant Salto, Judith Vanistendael revient avec une nouvelle histoire mêlant l’intime et le politique, autour des conséquences d’un engagement personnel et professionnel sur la vie de famille. Soigner des blessés de guerre, sauver des enfants d’une mort certaine, quelle ambition plus louable ? Mais quand cette mission vous empêche de voir vos propres enfants grandir, est-elle encore justifiée ? Et qu’est-ce qu’être une mère, si sa propre fille ne vous voit jamais, telle une ombre qui tire la porte doucement au petit matin pour prendre son avion, sans un baiser ni une parole ? Avec une grande subtilité, l’autrice belge aborde ces sujets sans trancher, ni accuser, ni répondre. Elle développe une mise en scène jamais pesante, aux dialogues courts et justes, aux aquarelles vivantes et non esthétisantes, proches parfois de l’illustration jeunesse traditionnelle. Alors, au fil des pages, les caractères s’affirment, les doutes surgissent, l’empathie envers tel ou tel protagoniste évolue, comme la vision de son petit monde par Pénélope. Et le coeur du lecteur se serre en voyant cette femme forte se déliter peu à peu, à mesure qu’elle se rend compte que sa place n’est plus vraiment chez elle, qu’elle ne s’y sent jamais à l’aise. Et qui culpabilise, forcément, quand sa fille le lui reproche à mots détournés. Mais l’appel de l’ailleurs est irrépressible, et il va falloir vivre avec. Et ne choisir qu’une seule de ses deux vies, sans doute.
Voilà donc un nouvel album fort et bouleversant, qui suscite des émotions sincères sans tirer artificiellement sur des cordes sensibles, et aborde des sujets graves et rares sans enfoncer des portes ouvertes ni asséner des vérités implacables. Le tout dans une perpétuelle recherche graphique du bon dessin qui doit résonner avec le propos. Une nouvelle bande dessinée importante dans l’oeuvre de Judith Vanistendael qui, livre après livre, devient tout simplement remarquable.
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