LES + DU BLOG : CARNET DE CHASSES 2/3
Il me sort dans une boîte ennuyeuse. Il a SON nom sur SA bouteille de Chivas et en conçoit une certaine fierté. Je lui vide sa bouteille de Chivas.
Il est blond, il est étudiant. Il partage la chambre voisine avec un ami. Il a perdu sa clé et attend son ami, assis dans le couloir. Je lui propose ma clé, qui n’ouvre que ma chambre, bien sûr.
Il est brun, il est étudiant. Le blond lui a dit que j’avais la peau douce. Il fait semblant d’avoir perdu sa clé. Il m’amuse. Puis il me trouve très tendue sous ma peau douce et me prépare une tisane calmante à une époque où je carbure au Témesta comme un clodo au 12°.
Il fait des phrases sur les mouettes, le cri des mouettes, le vol des mouettes, les flots tumultueux sur lesquels tanguent les mouettes. Puis on se rapproche du sujet : il fait des phrases sur son mauvais « rapport au corps ». Il a raison : dès qu’il cesse de faire des phrases, il n’est plus bon à rien.
Il suffisait qu’un homme se penche vers moi avec un rien de curiosité, qu’il plante son regard dans le mien et s’y attarde une seconde de trop, et cette beauté me chavirait – le cou, la ligne de l’épaule, une chemise à peine ouverte (pas assez), des bras plus forts que les miens, et le mal de chien que ça fait quand ça vous broie, au bout du compte.
Il suffisait que vienne un soir d’été. Parce que l’air était à la température exacte de ma peau, j’imaginais que l’homme qui passait par là, dans cette lumière-là, allait m’aimer. Il faisait tinter des glaçons dans un verre sans penser à rien mais je pensais pour lui. Je le trouvais intéressant bien avant qu’il ait parlé, je le croyais tendre puisque je l’étais, et je refermais mes bras sur lui sans rien connaître de lui, parce qu’il était en plein dans l’été, en toute innocence.
Dieu merci, l’été passe toujours et l’automne revient, et l’hiver. Je peux à nouveau respirer, oublier le bleu du ciel et l’ombre des terrasses, acheter des pull-overs, expédier des feuilles de Sécu-rité sociale. Et tout ça est infiniment moins désespé-rant que d’aimer l’été à ce point-là. Mais ça ne m’a jamais empêchée de chercher l’amour en hiver.
Là-bas en Afrique, les Massaï ont un jeu, une sorte de danse ponctuée de sauts. C’est à qui bondira le plus haut, le corps tendu vers le ciel et, sur le visage, un sourire tranquille. Un sourire qui dit : « Ce n’est rien, voyez-vous, c’est facile. » J’étais montée sur ressorts. J’étais capable de sauter très haut. Je m’assommais à un truc invisible et je retombais fracassée, avec ce sourire de Massaï.
© éditions Panama
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