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LES + DU BLOG : CARNET DE CHASSES 3/3

5 septembre 2006 |

La suite des extraits de Ils s’en allaient faire des enfants ailleurs de Marie-Ange Guillaume.
Dommage

Le soleil se noie d’un côté, la lune monte de l’autre. Le bateau prend le large au centre du monde. Je suis assise sur des cordages enroulés, dans une odeur de sel et de mazout. Et j’aurais aimé rester seule, mais il m’apporte un verre de vin blanc frais, parlant très peu, avec un humour fataliste accordé à la lenteur des événements. Il ne drague pas, il sait qu’il a du talent et qu’il faudra bien passer la nuit. Je le sais aussi. Au matin, avec la terre à l’horizon comme une traînée de brume, il fait des vœux pour que le bateau coule. Mais jamais un bateau n’a coulé sans raison dans un port, et sur le quai, on m’attend. Il descend donc la passerelle devant moi et disparaît dans la foule sans se retourner. Très belle attitude. Quinze ans plus tard, il trouve le moyen de me téléphoner. Dommage.

Furoncle

Il est très beau, comme un pull-over tout neuf, et pas plus intelligent que ça. Il ne se sépare jamais de son casque de moto, qu’il tient comme un panier à salade. Il insiste pour me montrer un furoncle qu’il s’est chopé à la fesse droite, comme un trophée, visi-blement sûr que rien ne peut ternir sa beauté. En réalité, ça ternit. Il revient un tas de fois, après que je lui ai expliqué qu’on n’avait jamais rien eu à se dire. Peu à peu, enfin, il disparaît.

Dès les premiers mots

On s’aime dès les premiers mots, d’autre chose que d’amour. On fait l’amour quand même, en général dans une maison lointaine, pleine d’inconnus, de chats tigrés et de téléphones. Le matin, extrêmement sensibles aux froissements de l’air autour de nos gueules de bois, on avale des litres de café, on mange du poulet. Et puis on sort dans le jardin en automne pour rire un peu de nos grands sentiments et de nos tentatives de bons à rien. Mais ce qui reste au bout du compte, quinze ans après, c’est qu’on s’est aimés dès les premiers mots et qu’on ne s’est jamais lâchés.

La blonde et les tziganes

On joue au black-jack, tard dans la nuit. Puis tout le monde s’en va et il monte dans sa chambre. Il éclate de rire parce que j’y suis déjà – dans son lit, cachée – et qu’il ne s’y attendait pas. Ou bien juste-ment, il s’y attendait. Son rire me glace. Le matin on se promène dans les Puces de Clignancourt. Il y trouve un livre sur les tziganes, qu’il avait prêté, qu’on ne lui a jamais rendu. Il y tient beaucoup, il le rachète. Puis il me parle d’une blonde dont il est amoureux, comme il parlerait à un vieux frère. Je me mets à pleurer parce qu’il fait froid, que je ne suis pas son vieux frère et que je sors de son lit. Il insiste pour me prêter son livre sur les tziganes. Je ne l’ai jamais lu, je l’ai perdu.

FIN
Editions Panama, 12 euros.
© éditions Panama
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