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Les + du blog : DUPUY ET BERBERIAN 2/4

22 novembre 2006 |

Le service militaire n’est plus obligatoire depuis 1996, et c’est bien dommage car il représentait une source d’inspiration jubilatoire pour les écrivains. Suite des souvenirs de Philippe Jaenada illustrés par Dupuy et Berberian.

COMMENT VAINCRE DIEU ?

Le catéchisme, contre toute attente, ça s’est bien passé. Du gâteau, de l’obstacle pour débutant, enjambé comme à la parade. Au début, j’ai eu peur, bien sûr, j’ai appris sur Dieu et Jésus, son homme de main, des choses épouvantables : un pouvoir hors du commun (petits pains et poissons par milliers surgis de nulle part (on devinait d’ailleurs là-dedans le côté glacial du Type : Il aurait pu faire apparaître des milliers de barres de chocolat, avec le pain, mais non, Il voulait bien nourrir les pauvres gens à condition qu’ils sachent se contenter de sandwichs au poisson (et il fallait qu’ils se réjouissent, en plus)), promenade à pied sur l’eau, morts qui se relèvent et j’en passe), associé à d’incroyables facultés de surveillance et à une sévérité, une rigidité de dictateur.


– Si tu mens, Dieu le saura.
– Hein ? Si je mens mal, vous voulez dire.
– Non, même avec le plus habile des mensonges, tu ne tromperas pas Dieu. Si tu as de mauvaises pensées, Dieu le saura.
– Mais comment ?
– Il le saura. Et Il te punira.
– Pardon ?
Et comme si ça ne suffisait pas, il fallait le prier, le Seigneur, le supplier à genoux tous les jours ne serait-ce que pour continuer à être en bonne santé, pitié, ou pour qu’il ne fasse pas mourir ma grand-mère, juste ça. Bref, le tyran fou.
Mais très vite, grâce à de petits tests très simples (un parmi quinze autres : malgré, je le jure, mes prières ferventes et sincères (« je ferai tout ce que Tu voudras »), mon hamster Bilou qui était tombé de trois mètres de haut ne s’est jamais relevé (s’Il ne fait ça que pour sa famille et ses amis, Lazare, Jésus et je ne sais qui, tu parles d’une mentalité, c’est magouilles et compagnie)), grâce aussi à l’observation minutieuse du bonhomme qui était chargé de tout nous apprendre sur Dieu son maître, et donc censé le côtoyer de près, bénéficier de ses faveurs plus que n’importe qui d’autre (il portait toujours le même pantalon gris usé et le même pull bordeaux avec un petit trou près du poignet droit, il avait l’air triste, fatigué, et même, sous ses dehors bienveillants et doux, assez aigri (dans une petite pièce de théâtre biblique qu’il comptait nous faire jouer, il avait confié le rôle de Jésus à un gros blond qui terrorisait tout le monde, et m’avait attribué celui, ingrat, de l’olivier qui ne bouge pas du début à la fin (et n’a pas une ligne de texte, évidemment), bras en l’air avec des bandes de crépon vert sur tout le corps – moi qui pourtant suis gentil, sérieux, attentif, et qui ne lui avais rien fait), ce petit vieux solitaire, tenaillé par la misère et l’amertume, était soi-disant aussi proche de Dieu, le Bienfaiteur, qu’on pouvait l’être : ça n’incitait pas à la confiance), très vite, grâce à un minimum de réflexion, je me suis tiré de ce mauvais pas : j’ai cessé de croire en Dieu.
Trois semaines de catéchisme avaient suffi à m’ouvrir les yeux. (C’était avant tout une question d’impression, de sentiment, de non-foi, mais un copain plus scientifique, qui avait la chance de ne pas être inscrit au catéchisme (si ça se trouve, je me disais, ce veinard échapperait aussi comme par magie au service militaire et au mariage), qui n’était pas du genre à se laisser rouler dans la farine et avait flairé l’entourloupe depuis belle lurette, bien avant moi, m’avait quelques mois plus tard apporté une preuve solide, une démonstration trouvée dans un livre que lui avaient montré ses parents : « Est-ce que Dieu peut créer une pierre si lourde qu’Il ne pourrait pas la soulever ? Si oui, c’est donc qu’Il ne peut pas la soulever, et qu’Il n’est pas Dieu puisque Dieu peut tout faire ; si non, pareil, Il n’est pas Dieu puisque Dieu peut tout faire et que lui ne peut pas créer la pierre ; dans un cas comme dans l’autre (et il n’y a que deux cas possibles : oui ou non), Dieu n’est pas Dieu donc n’existe pas. »
Ne pas croire en son adversaire est une tactique infaillible pour vaincre. Dieu me terrifiait, je l’avais fait disparaître en n’y croyant pas : sa domination s’arrêtait là, net. Quasiment sans avoir eu à combattre, je sortais victorieux de cette première épreuve que m’avait imposée la vie. Plus que deux, donc.

Prochain extrait : LE MARIAGE, PLUS CA DURE, PLUS C’EST DIFFICILE !

Extrait de Les Brutes de Jaenada, illustré par Dupuy et Berberian, éditions Scali, 18 euros.
© Dupuy et Berbérian, Scali.

Et voir les autres dossiers : 1/4, 3/4, 4/4

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