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Les + du blog : FLOC’H ET RIVIERE 1/3

23 octobre 2006 |

Les mémoires de l’homme qui n’existait pas

Olivier Alban « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » lançait le bon Alphonse de Lamartine. Bonne question. Et les personnages nés de l’imagination des hommes, ont-ils une âme ? Chris Conty a-t-il une âme ? Et Oliver Alban ?

Le premier est ce chanteur belge, disparu depuis 25 ans, dont Laurent Voulzy, Nicola Sirkis du groupe Indochine, Zazie, Danièle Gilbert et Thierry Ardisson ont raconté, sur Canal le 4 octobre en soirée, combien il les a marqués. Voulzy révéla même qu’il fut à deux doigts d’intégrer une chanson de cet auteur culte dans son célèbre Rock collection.Trilogie anglaise
Seul problème, Chris Conty n’existe que dans l’imagination d’un musicien belge, Jean-Jacques Nyssen, compositeur pour sa compagne Clarika qui raconte l’histoire de Chris Conty sur scène depuis des années. « Je voulais montrer que la frontière entre le branché et le ringard est très ténue » raconte-t-il (Le Parisien, 4 octobre). Résultat une émission très sérieuse sur Canal, une compilation (Tout recommence, ULM) et un spectacle hommage le 6 novembre à La Cigale.
Pas mal pour un chanteur qui n’existe pas.
Olivier Alban Le second, Olivier Alban, est né un soir de l’hiver 1941 dans l’imagination de la romancière Olivia Sturgess et du critique Francis Albany, deux personnages fort connus des lecteurs de La Trilogie anglaise de messieurs Floc’h et Rivière que réédite de nouveau Dargaud(1). Un personnage né de l’imagination de deux personnages de fiction, voilà qui rend le pauvre Olivier encore plus improbable. C’est ce que pontifieraient en tout cas les rationalistes rabat-joie qui nous pourrissent la vie. Trilogie AnglaiseEt bien cette fois ils auraient tort. La preuve : Oliver Alban publie ses chroniques (2) dans lesquelles il met en scène les personnalités les plus fortes, les plus sublimes, forcément sublimes, rencontrées au cours de son existence dans le Londres des années cinquante à soixante-dix. S’il ne s’étend pas –hélas !- sur une certaine partouze qui vit se mélanger cinq jeunes turbulents étudiants d’Eton et la flamboyante comédienne Tallulah Bankhead, Oliver décrit avec finesse et un délicieux filet de fiel Patricia Highsmith, Rudyard Kipling, Ian Fleming, Olivia Sturgess, et aussi quelques Françaises, Daphné du Maurier ou Marguerite Yourcenar. En tout, une quarantaine de portraits merveilleusement « british », puisés parmi la centaine retrouvés dans une malle.
Pas mal pour un dandy qui n’existe pas.
1- Une Trilogie anglaise, comprenant Le Rendez-vous de Sevenoaks, Le Dossier Harding et A la recherche de Sir Malcom, par Floc’h et Rivière, 180 pages, 29 euros, le 17 novembre.
2- Les Chroniques d’Oliver Alban, par Floc’h & Rivière, Robert Laffont, 19 euros.
Extrait 1/3

REQUIEM POUR 007
De tous les heureux moments passés en compagnie de Michael Howard, directeur littéraire des Editions Jonathan Cape, celui qui se rappelle à mon souvenir de la façon la plus impérieuse est évidemment ce déjeuner au cours duquel, un jour de 1952, il me présenta un certain lan Fleming.
Ian Fleming Je connaissais, pour l’avoir lu et apprécié, son frère aîné, Péter, écrivain voyageur qui travaillait égale-ment pour Cape. J’appris avec intérêt que ce garçon, après un bref passage à l’agence Reuters, occupait un poste important au Sunday Times et venait d’achever le manuscrit d’un roman d’action déjà passé entre les mains de Michael qui désirait avoir mon avis.
— C’est une histoire d’espionnage assez parodique, m’indiqua Fleming en projetant devant lui un jet de fumée bleue tirée de son fume-cigarette et en fixant sur moi un regard d’aigle que je jugeai plutôt insolent.
A la fin du repas, il me remit une enveloppe de papier brun en lançant, goguenard :
— Ni Jonathan ni Michael n’ont aimé mon histoire, alors bonne chance, Mr. Alban !
Je rentrai chez moi, suffisamment intrigué par la personnalité de Fleming pour me jeter sur le contenu de l’enveloppe. Le roman que Jonathan Cape et mon ami avaient dédaigné s’intitulait Casino Royale et la lecture que j’en fis ce jour-là me combla de ravissement. Le personnage d’agent secret imaginé par lan Fleming ne ressemblait à aucune autre de ces créatures stéréotypées des récits d’intrigue internationale. On était à la fois très loin de Phillips Oppenheim et de John Buchan, l’auteur prenant visiblement un malin plaisir à détourner les règles du genre.
James Bond n’avait plus rien de cette vieille culotte de peau de Bulldog-Drummond qui, depuis des lustres, berçait de rêves dangereux l’adolescence des garçons de bonne famille. J’appréciai qu’il rendît un hommage discret, par son nom de code 007, à l’une des plus belles nouvelles de Kipling, et, sans même avertir Howard, je téléphonai à Fleming pour le congratuler et l’assurer que je ferais tout mon possible pour défendre son livre. J’ignorais naïvement que le fringant journaliste du Sunday Times disposait d’autres appuis et que Casino Royale venait d’être inscrit au programme des Editions Cape. Vous connaissez la suite de cette aventure littéraire sans pareille qui devait faire la fortune du romancier et de ses heureux éditeurs, des deux côtés de l’Atlantique.
Pour moi, ce fut le début d’une connivence durable avec l’auteur le plus original qu’il m’ait été donné de rencontrer à ce jour, le plus ombrageux et le moins discipliné qui fût, mais terriblement attachant. J’eus le privilège d’être un des tout premiers lecteurs de la plupart de ses romans et d’être questionné par lui sur les tentatives stylistiques ayant présidé à l’écriture de certains d’entre eux,
Bons baisers de Russie par exemple.
Ancien élève d’Eton, lan avait travaillé pendant la guerre dans les services spéciaux de la marine, puis, dès 1948, avait manifesté des dispositions pour l’écriture. Un premier projet assez surprenant – un essai sur Paracelse écrit en collaboration avec Edith Sitwell – ayant échoué, il s’était tourné vers le roman d’action.
La relation dont je me réclame ne fut jamais d’ordre intime mais littéraire. Elle eut souvent pour cadre les links du golf-club Royal St. George à Sandwich où nous retrouvions Noël Coward. J’eus aussi l’occasion de faire un voyage en sa compa-gnie à Istanbul où nous rencontrâmes le chef des services secrets turcs. En regagnant l’Angleterre à bord du Simplon-Orient-Express, lan m’assura que l’épisode que nous venions de vivre lui serait d’une grande aide pour la rédaction du prochain James Bond. J’étais fasciné par l’étonnante agilité d’esprit de cet homme par ailleurs d’une santé défaillante mais qu’entraînait une ambition démesurée sou-vent mal perçue par ses contemporains. Il buvait et fumait beaucoup, en dépit des avertissements des médecins, brûlant comme on dit la chandelle par les deux bouts. La fin des années cinquante emporta Fleming dans un tourbillon de voyages transatlantiques ayant pour moi l’inconvénient de raréfier nos rencontres. Mais dès que nous étions réunis, je retombais sous le charme de ce styliste exigeant et – plus excitant encore à mes yeux – de cet amoureux de l’objet livre qui n’aurait laissé à personne le soin d’exécuter les couvertures des siens. Une tension quasi démoniaque l’habitait, mais aussi la hantise de ne pas être à la hauteur d’une tâche qui le consumait corps et âme. Avait-il la prescience d’une fin prématurée ? Ses romans devenaient de plus en plus cyniques et noirs, comme pour nous avertir.
La dernière fois que je vis lan, quelques semaines avant sa mort, il me remercia d’avoir accueilli son premier roman avec autant de bienveillance. J’accepte aujourd’hui avec orgueil cette manifestation inhabituelle de sa part comme le clin d’œil le plus amical qu’il m’ait jamais dédié.
Novembre 1964

Prochain portrait : NATHALIE WOOD

© éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2006.

Lire les autres dossiers : 2/3, 3/3

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