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Les + du blog : Floc’h et riviere 3/3

27 octobre 2006 |

Alors que Dargaud republie l’intégrale d’Une Trilogie anglaise, Floc’h et Rivière vous invitent à découvrir Les Chroniques d’Oliver Alban, cet Anglais imaginé par leurs personnages bien connus, la romancière Olivia Sturgess et le critique Francis Albany. Alban s’y révèle un redoutable observateur. Après ses portraits de Ian Fleming, le papa de 007 et de Natalie Wood, la brune vedette de West Sise Story, voici celui d’Alfred Hitchcock, le maître du suspense.

Ne réveillez pas Hitchcock
Alfred Hitchcock tourne à Londres son nouveau film, inspiré du roman d’Arthur La Bern Good bye Piccadilly, Farewell Leicester Square, et dont le scénario est l’œuvre de mon ami Anthony Shaffer, auteur d’une pièce à présent célébrée des deux côtés de l’Atlantique, Sleuth (1). J’avais eu naguère l’occasion d’apercevoir la silhouette du maître du suspense lors d’un dîner chez Chasen’s à Hollywood, mais sans pouvoir aborder le plus célèbre peut-être de nos metteurs en scène. Aussi Tony a-t-il obtenu pour moi un rendez-vous sur le lieu même du tournage de Frenzy, le marché de Covent Garden où se déroule une bonne part de l’action du film. L’autre matin, tandis que nous avancions parmi les étals des bouchers et des vendeurs de légumes, mon ami m’a prévenu :
– Hitch est un homme imprévisible, il passe de l’exquis à l’exécrable sans raison apparente. En vérité, c’est un grand timide et un peureux. C’est du reste le secret de son génie.
Je m’attendais donc au pire en approchant du cercle de feu des projecteurs. J’aperçus d’abord, de dos, une sorte de bouddha trônant dans unAlfred Hitchcock fauteuil pliant. À ses côtés se tenait une petite femme aux cheveux roux, engoncée dans une veste en fourrure.
– C’est Alma, la femme de Hitch, m’a soufflé Tony à l’instant où, tout sourire, celle-ci s’approchait de nous.
J’ai été plus qu’agréablement surpris d’apprendre que Mrs. Hitchcock appréciait mes chroniques.
– Hitch aussi vous lit religieusement. A Hollywood, les journaux anglais du dimanche sont notre seule récréation.
J’appris aussi que Frenzy était le premier film tourné en Angleterre par le Maître depuis 1949, date de la production du Grand Alibi avec Marlène Dietrich. Puis nous fîmes quelques pas en direction du bouddha toujours figé dans son fauteuil. Je tournais et retournais un compliment dans ma bouche lorsqu’un regard navré de la jeune personne debout près de lui, un script dans les bras, nous avertit que quelque chose clochait. Tony me dit alors :
— Il dort… Cela lui arrive souvent pendant les prises de vues.
J’avais en effet lu quelque part que pour ce cinéaste le tournage des scènes ne représentait qu’une formalité… Devant nous, sous la lumière bleutée des énormes sunlights, deux comédiens dont les visages m’étaient familiers échangeaient leurs répliques. Le clapman fit son office et, à cet instant, le bouddha sursauta, réveillé.
– Parfait, dit-il d’une voix posée avant d’émettre un gloussement.
Puis il se redressa et m’aperçut. Tony fit les présentations, ce qui ne me valut aucun compliment particulier. Hitch alors se pencha de côté, et ramenant sur ses genoux une sorte de carton à chapeau le tapota de sa main potelée :
—Mme Tussaud savait que je n’avais plus toute ma tête, aussi m’a-t-elle fait ce cadeau.
Il ouvrit la boîte et, solennellement, en sortit un moulage en cire de son propre chef, d’une troublante ressemblance. Nous nous extasiâmes bientôt rejoints par les comédiens – Anna Massie et Barry Poster, qui joue le rôle d’un tueur sanguinaire – et les techniciens, visiblement ravis de faire une pause. Hitch devint alors intarissable, nous régalant d’histoires graveleuses débitées sur un ton de prélat. Aima ponctuait ces propos de «Oh ‘ voyons, Hitch !» dont le seul effet était d’attiser 1’humeur gaillarde de son compagnon. Le tableau de ces deux êtres en apparence si différents illustrait a la perfection ce que D. H. Lawrence considérait comme la condition nécessaire à un mariage heureux.
Soudain, Hitchcock cessa de parler, le regard fixe vers l’extérieur du cercle qui s’était formé autour de nous. Un homme d’un certain âge coiffe d’un large chapeau mou, agitait la main pour attirer son attention. Le réalisateur s’extirpa péniblement de son fauteuil et s’éloigna. Devant la surprise qu’exprimait Tony Shaffer, Mrs. Hitchcock, l’air attendri, nous apprit qu’un événement considérable aux yeux de son époux s’était produit quelques
jours auparavant, quand l’homme que nous avions aperçu s’était présenté en demandant timidement à rencontrer « Mr. Hitchcock fils ».
— Figurez-vous qu’il s’agit d’un ancien grossiste en légumes qui a très bien connu mon beau-père… Alfred et lui ont immédiatement sympathisé – mon mari a si peu de souvenirs de son père qui était épicier dans l’East End et s’approvisionnait ici même…
Lorsque, un quart d’heure plus tard, Hitch est revenu vers nous d’un pas lent, il gardait sa tête obstinément baissée comme sous le choc d’une révélation qui le laissait pensif. Mais en reprenant place dans son fauteuil, avant de s’emparer machinalement du script que lui tendait son assistante, il a offert son visage à la lumière artificielle inondant à nouveau le set. J’y ai alors retrouvé cette expression mi-boudeuse, mi-désenchantée que j’avais souvent distinguée sur les photographies des magazines. Mais, cette fois, je pouvais lui donner un sens.
Août 1971
1) Le Limier.


FIN

Extrait des Chroniques d’Oliver Alban, par Floc’h & Rivière, Robert Laffont, 19 euros.
© éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2006

Lire les autres dossiers : 1/3, 2/3

Commentaires

  1. Et pour quelques « images » de plus de Sir Alfred:

    http://www.gerard-bertrand.net/index_hitchcock.html

  2. Et pour quelques « images » de plus de Sir Alfred:

    http://www.gerard-bertrand.net/index_hitchcock.html

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