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Les + du blog : LE RIRE DE TINTIN 1/5

9 juin 2006 |

Il a cinquante ans, l’affaire était réglée. Pliée. Les lecteurs du journal Spirou d’après-guerre (celle de 39-45) étaient de joyeux lurons aimant le rire, la blague, la déconnade. Ceux du journal Tintin, des pisse-froids bien propres sur eux, amoureux de grandes et belles histoires sérieuses, plutôt bénies au goupillon. Dans le collimateur, Tintin, évidemment, mais aussi Alix, Blake et Mortimer etc. Leurs aventures étaient censées faire rêver, trembler, mais certainement pas plier en huit les zygomatiques de leurs lecteurs. Alors, Spirou roi de la rigolade face à un Tintin coincé par son éducation catho et réac comme son papa Hergé ? Et si les choses n’étaient pas si simples ? Thierry Groensteen (1), dans Le Rire de Tintin, essai sur le comique hergéen (2), se penche sur le comique de Hergé. Car on rit chez Tintin. On rit de la surdité de Tournesol, de l’alcoolisme du capitaine Haddock, de la bêtise des Dupondt, de la beauferie des Lampion. Mais aussi, déjà, de la malbouffe et de la presse people ! Groensteen ausculte les mécanismes du rire chez le petit reporter du XXe siècle. Et montre joliment que l’image de cul serré que beaucoup collent à Hergé ne correspond pas vraiment à la réalité de son œuvre. À vous d’en juger à travers cinq extraits du Rire de Tintin que vous offre bodoi.info.

JPF
1) Auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire et l’esthétique de la BD, directeur du musée de la bande dessinée d’Angoulême de 1993 à 2001, fondateur des éditions de L’An 2.
2) Editions Moulinsart, 19,50 euros.


Objetif Lune, page 25, case 11 © Hergé/Moulinsart, 2006.

UN OS, UN SCAPHANDRE, UNE BARBE…

L’un des moteurs de l’imagination hergéenne consistait à s’emparer d’un objet et à en décliner toutes les virtualités. Dans la bande dessinée comme au cinéma, une intrigue met nécessairement en jeu un certain nombre de personnages, de décors et d’objets nécessaires à l’action. Plutôt que de cantonner ces derniers dans la fonction de simples accessoires, Hergé s’acharnait à inventer toutes les situations dans lesquelles tel objet particulier pouvait devenir source de gags, être détourné de son usage normal ou revenir sous des formes inattendues. Cette démarche, de nature systématique, avait quelque-fois lieu a priori, de façon prospective et « gratuite », sans lien avec un récit particulier. Le tome VI de la collection L’Univers d’Hergé, consacré aux projets, croquis, histoires interrompues (1), en apporte un bon exemple.
Dans un petit carnet daté de 1937-38, où il notait ses idées pour de futures aventures de Tintin, Hergé s’intéresse, par le biais de Milou, à cet objet singulier qu’est un os.
Os que rapporte toujours Milou. Os creux cachant plan. Plus loin : Tintin et os : musée d’histoire naturelle. Où y a-t-il encore des os ?… Musée : homme de Neandertal. Morgue. Hôpital : squelette. Drapeau de pirates. DANGER DE MORT. Haute tension. Poubelle. Rayons XL.
Comme l’observe très justement Benoît Peeters, maître d’œuvre de la collection, « à partir d’un thème somme toute fort mince, Hergé trouve ainsi l’un des meilleurs gags du Sceptre d’Ottokar, le début du Crabe aux pinces d’or et entrevoit une formidable séquence d’Objectif Lune. »
Manifestement, c’est une méthode analogue, quoique moins libre dans ses associations, qui a été appliquée à des objets comme le scaphandre du Trésor de Rackham le Rouge ou la tente de Tintin au Tibet. Après nous avoir fait assister à l’achat du scaphandre, Hergé multiplie les ratés dans son utilisation. En l’espace de neuf pages à peine (pp. 41-49).
• les Dupondt arrêtent de pomper pour se reposer, menaçant d’asphyxier Tintin,
• Haddock se coince la barbe dans le casque,
• il oublie de le remettre avant de plonger,
• il s’assied en négligeant de vider le scaphandre rempli d’eau,
• les Dupondt pompent même en dormant, alors que personne ne plonge plus,
• Dupond plonge en oubliant de chausser les semelles de plomb et touche le fond la tête la première.
De même, au Tibet, la tente connaît tous les avatars que peut inspirer pareil objet : Haddock se prend les pieds dans les tendeurs (« Quand fabriqueront-ils des tentes (…) sans tout ce fouillis de bouts de ficelles ? !… »), la tente s’envole et va revêtir le yéti qu’elle transforme en une manière de fantôme, l’autre tente est fendue en deux par un éternuement du capitaine…
Le scaphandre et la tente, simplement parce qu’ils sont là, accessoires indispensables à l’action développée, transcendent leur fonction strictement utilitaire. Ils inspirent à Hergé un catalogue de péripéties plus ou moins humoristiques.
La barbe du capitaine Haddock est elle-même un de ces « objets », capable de jouer un rôle actif dans une infinité de situations généralement pénibles ou douloureuses pour l’intéressé mais divertissantes pour le lecteur. Tout le monde a gardé en mémoire la « grave question » que le perfide Allan soumet au capitaine : « Dors-tu avec la barbe au-dessus ou en dessous des couvertures ? » (Coke en stock, p. 42). Mais se souvient-on que cette malencontreuse barbe est tour à tour (je cite dans le désordre, et sans prétendre à l’exhaustivité) coincée dans le casque du scaphandre, comme on vient de le rappeler, arrachée par un professeur Tournesol au désespoir, incendiée une première fois par la pipe du capitaine qui s’endort, une seconde par le micro-film que le professeur entend détruire, coincée dans la fermeture éclair d’un sac de couchage, etc. Dans des notes de travail pour une première version de Tintin et les Picaros, Hergé était allé jusqu’à imaginer qu’un guide indien désireux de peindre la peau du capitaine le rendait complètement glabre au moyen d’une « espèce de pâte verte ».(2)
1) Rombaldi éditeur, 1988.
2) Philippe Goddin, Hergé et les Bigotudos, le roman d’une aventure, Casterman, Bibliothèque de Moulinsart, 1990, p. 51.

SUITE : Et vive le cognac !


Le Rire de Tintin, essai sur le comique hergéen, par Thierry Groensteen, © Hergé/Moulinsart, 2006.

Lire les autres dossiers : 2/5, 3/5, 4/5, 5/5

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