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Les + du blog : LE RIRE DE TINTIN 2/5

12 juin 2006 |

Tintin au Tibet

Tintin au Tibet, page 38, case 10 © Hergé/Moulinsart, 2006.

ET VIVE LE COGNAC !

Pour sa part, Tintin n’a pas une nature comique. Il n’appartient pas non plus, à proprement parler, au registre dramatique. Sa catégorie serait plutôt celle, intermédiaire, du sérieux. « Le Sérieux, nettoyé de toute grimace, de toute crispation, de toute anomalie extrémiste, est un visage qui n’exprime à l’ordinaire rien de déterminé ni d’assignable, et pas même la sévérité (1) » Ces lignes de Vladimir Jankélévitch paraissent avoir été inspirées au philosophe par le visage de Tintin – que l’on pourrait aussi décrire, avec les mots de Proust, comme un « espace vide sur lequel jouerait tout au plus le reflet de nos désirs (2) ».
Du sérieux de Tintin (une fois passés les premiers épisodes où, comme on l’a vu, l’impulsivité et l’exubérance ne lui étaient pas étrangères), on peut sans doute avancer d’autres explications que l’ennuyeuse exemplarité attendue d’un modèle proposé à la jeunesse. Le jeune homme n’est pas seulement une projection sublimée d’Hergé (« Tintin, c’est moi quand j’aimerais être héroïque », disait ce dernier), il semble quelque fois tenir dans la fiction le rôle d’une sorte de narrateur délégué, qui en connaît aussi long sur ses compagnons que ce que peut en connaître l’auteur et qui, comme lui, en tire les ficelles. En effet, le regard que Tintin porte sur ses compagnons n’est pas seulement indulgent, il est aussi pénétrant. Tintin honore ses saints comme il les connaît. Il sait les manipulations pour parvenir à ses fins, agir à bon escient sur de leur personnalité.

Tintin.Haddock

Tintin au Tibet, page 38, case 11 (détail) © Hergé/Moulinsart, 2006.


C’est ainsi que, si sévère qu’il se montre envers l’alcoolisme du capitaine dans le Crabe et dans On a marché sur la Lune, Tintin ne dédaigne pas de flatter ce coupable penchant, ou tout au moins de l’utiliser, quand c’est l’ultime moyen de faire changer Haddock d’avis. Souvenez-vous de L’Étoile mystérieuse : découragé, le capitaine veut abandonner la poursuite du Peary. Pour lui, la partie est perdue. « Il est tout à fait inutile d’essayer [de le rattraper]. Nous faisons demi-tour et nous rentrons. » Tintin feint de se ranger à cet avis, mais il réclame un doigt de whisky pour se réchauffer. « Vous boirez bien un verre avec nous, n’est-ce pas, capitaine ?… » Haddock ne se fait pas prier. Il a paru surpris de la demande de Tintin, plutôt inhabituelle, il est vrai. Ayant pris l’habitude de dissimuler son vice, il a même eu le front de répondre : « Du whisky ?Je vais voir s’il y en a… », alors que l’image suivante nous montre que son armoire en est pleine. Mais il ne sent pas où Tintin veut en venir, il tombe ingénument dans son piège. Et quand son jeune ami soupire : « Réflexion faite, je crois, en effet, que la partie est perdue. Il vaut mieux abandonner la lutte… », la boisson alcoolisée a eu le temps de produire son effet : « Abandonner la lutte ?… jamais !… (…) Nous allons leur montrer, à ces p-p-peaux rouges, ce dont nous sommes c-c-capables !… » Le sourire triomphant de Tintin est éloquent : son stratagème a réussi.
La même scène se retrouve dans
Tintin au Tibet, mais avec une variante. En plus de compter sur l’alcool (cette fois, il s’agit de cognac) pour ranimer l’ardeur défaillante du capitaine, il pique son amour-propre. Le seul énoncé du mot « frousse » provoque une volte-face de Haddock. Lui, avoir peur de se mesurer à la montagne, au froid et, surtout, au yéti ? Mille sabords, voilà qui est mal le connaître. Et vive le cognac !
1) L’Aventure, l’ennui, le sérieux, Vladimir Jankélévitch, Aubier, Paris, 1963, p. 181.
2) A la recherche du temps perdu, Pléiade, T. III, p. 1045.

SUITE : Contre la presse people, déjà…


Le Rire de Tintin, essai sur le comique hergéen
, par Thierry Groensteen, © Hergé/Moulinsart, 2006.

Lire les autres dossiers : 1/5, 3/5, 4/5, 5/5

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