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Les + du blog : LE ROMAN DE PIERRE CHRISTIN 1/5

3 juillet 2006 |

Scénariste de Valérian avec Mézières, de Léna avec Juillard (que prépublie BoDoï) et de bien d’autres séries à succès, Pierre Christin est aussi romancier. Son nouveau livre met les pieds sur un terrain miné que la plupart des auteurs évitent soigneusement : celui des mœurs universitaires françaises. Comme Christin le fait malicieusement remarquer dans l’interview que publie BoDoï 98, « nombre d’écrivains sont des profs mais ils n’écrivent jamais sur leur propre milieu ! ». Universitaire lui-même, aujourd’hui à la retraite, le prof Christin se penche sur son passé à travers un polar sympa dans lequel le nom de l’assassin compte beaucoup moins que Les Petits Crimes contre les humanités auxquels se livre l’auteur en révélant tout haut ce que tout le monde dit tout bas lorsque les micros sont coupés. Bodoi.info vous offre un passage de ce livre réjouissant, sorti sans tambour ni trompette, mais réédité un petit mois après grâce à un bouche-à-oreille efficace. Les héros, Simon, jeune agrégé, et Étienne, son aîné et mentor, assistent à l’ultime séance du Conseil des études et de la vie universitaire de leur établissement. Pendant ce temps, sur un parking voisin, certains grattent des allumettes…

« Hors de question de céder au patronat réactionnaire ! »

Arrivant petit à petit, les premiers professeurs et les premiers étudiants faisaient leur entrée dans la salle du conseil. Les professeurs étaient en pantalon de toile, en pantacourt, voire carrément en short. Tous avaient l’air de mauvais poil, certains plus que d’autres. Les étudiants étaient en jean ou en survêtement de sport. Tous prenaient un air ennuyé et regardaient ailleurs pour ne pas avoir à saluer. Trottant sur ses talons carrés, Mme Marthon-Le Boudic se pointa à son tour, une liasse de papiers à la main qu’elle distribua bientôt aux rares présents. Le président Goulletqueur, seul à porter un costume, donc, la suivait de près et se livrait d’un regard circulaire à une rapide estimation des troupes.
– Ça va être difficile d’atteindre le quorum, dit-il.
Mais un petit groupe d’étudiants aux allures de conspirateurs fit son entrée, mené par un jeune homme aux yeux de braise et au look prolétarien symbolisé par une casquette à carreaux qu’il ne quittait jamais, même en cours. C’était évidemment un trotskiste, de la variété ouvriériste la plus dure, ce qui lui assurait une autorité indiscutable sur ses camarades petits-bourgeois appartenant à des syndicats étudiants aux convictions molles et à la représentativité évanescente.
– Chers amis, mesdames, messieurs, lançait le président, rasséréné par l’arrivée de cette délégation qui n’allait pourtant lui créer que des ennuis, chers amis, mesdames, messieurs, répétait-il de sa voix particulièrement onctueuse et puissante, je crois que nous allons pouvoir ouvrir l’ultime séance du Conseil des études et de la vie universitaire.
On s’installa autour d’une table ovale qui, à l’exception de quelques cicatrices dans le bois remontant peut-être à d’anciens différends idéologiques, était en assez bon état. Tout aussi exceptionnellement d’ailleurs, elle ne semblait pas provenir du catalogue Camif. Simon et Étienne allèrent se placer à une extrémité de l’ovale pour commencer à corriger leurs copies sans attirer l’attention.
– Madame la vice-présidente va nous donner lecture des différents points de l’ordre du jour qu’elle a eu l’immense bonté de centraliser, dit Goulletqueur.
Il y eut quelques raclements de pieds et de gorges. L’un des professeurs de sciences du langage, coutumier du fait, s’endormit aussitôt sur sa chaise.
Mme Marthon-Le Boudic commença à lire d’une voix neutre tandis que chacun suivait avec plus ou moins d’attention sur les papiers qu’elle avait distribués :
« Nouvel appel d’offres pour les sandwichs de la cafétéria (liste d’entreprises de restauration rapide disposées à soumissionner jointe)
« Maintenance de la machine à café du premier étage (cf. liste ci-dessus)
« Réparation de la porte en verre de l’atrium (achat matériaux en externe, devis joint, travail en interne, versement de vacations)
« Remplacement du fourgon Renault 1976 (demande de M. Mora)
« Présence des gens du voyage sur le terrain de sport (plaintes riverains jointes)
« Mise à disposition d’un mur d’expression libre (motion syndicats étudiants jointe)
« Dysfonctionnements des ordinateurs (motion IATOS, soutien enseignants)
« Multiplications des blogs nuisant à la réputation de 1’université (présidence). »
À nouveau quelques raclements variés.
– D’autres points à ajouter ? demanda le président.
Le jeune leader prolétarien leva la main comme jadis on levait le poing :
– Plutôt des demandes scandaleuses à retrancher d’emblée, dit-il d’une voix métallique qui faisait déjà tellement penser à celle d’Heurtemitte, en dépit de la différence d’âge, que Simon et Étienne levèrent les yeux en même temps de leurs copies.
– Je vous écoute, monsieur, dit le président, exagérément onctueux, mais il fallait le connaître pour savoir.
-Il est hors de question de céder ne serait-ce qu’une parcelle de l’université française au secteur privé. Cet appel d’offres à des entreprises connues pour leur mépris des travailleurs qu’elles emploient consiste à brader au patronat le plus réactionnaire un équipement construit sur les deniers publics.

SUITE : L’important, avoir l’air plus à gauche que son voisin

Extraits de Petits Crimes contres les humanités de Pierre Christin, collection Noir, éditions Métailié (www.editions-metailie.com), 240 pages, 10 euros.
© Métailié 2006

Et voir les autres dossiers : 2/5, 3/5, 4/5, 5/5

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