Les + du blog LE ROMAN DE PIERRE CHRISTIN 4/5
Pierre Christin, c’est aussi ses Correspondances. Ainsi Le Sarcophage racontant un voyage à Tchernobyl. Dessin Enki Bilal. Paru en 2000 (Dargaud).
« BORDEL DE MERDE, NOS BAGNOLES ! »
On toqua à la porte.
– Oui ? dit le président.
C’était El Sordo, qui vint lui parler à l’oreille de sa voix basse qu’on entendait à dix mètres.
– Ça flambe au parking de géo, monsieur le président, dit-il.
– Hein ? hurla le géographe en dressant sa longue carcasse.
– Hein ? demanda le professeur de sciences du langage en se réveillant.
– Hein ? dit Étienne en sortant d’une copie.
On alla vers la fenêtre de la salle du conseil. Et on constata.
Des flammes commençaient à monter derrière l’aile en béton qui partait d’un autre bâtiment où les enseignants de l’UFR de géographie avaient leur bureau. Il y avait aussi une forte odeur d’essence, de plastique en train de fondre.
– Ça alors, dit le jeune leader révolutionnaire. Ça alors. Les gars du Bouchot, c’est des fachos. Mais ça alors.
On partait à la queue leu leu, y compris Étienne qui avait intimé à Simon l’ordre de rester auprès des copies pour éviter une autre disparition, toujours possible dans cet endroit où la propriété privée – même celle de copies -n’avait rien d’intangible. Comme il commençait à avoir la main, c’est lui qui appelait les pompiers, et peut-être aussi son copain de la locale du Nivernais. Trois voitures étaient bel et bien en train de flamber. Bon sujet, quoiqu’on pense du fond. D’ailleurs les étudiants du CEVU regardaient le spectacle les yeux écarquillés.
– C’est comme les films à la télé, dit le Vert grassouillet, ébahi. Mais je crois qu’en vrai, les voitures, ça n’explose pas.
– C’est comme l’Histoire en marche, le corrigea le révolutionnaire à casquette. Les masses bougent. Et ça va exploser.
– Bordel de merde, nos bagnoles, dit le géographe. Nos trois bagnoles, aux trois profs !
– Là, quand même, dit Étienne, ils sont allés plus vite que la musique, les gars du Bouchot. Il datait de quand ce mail, déjà ?
– D’hier, dit le géographe en contemplant sa Laguna qui semblait se recroqueviller.
– Et vous l’avez regardé quand ?
– Ce matin, je vous ai dit, en ouvrant notre ordinateur, ressassa le géographe d’un air sombre.
– Il y avait un risque, c’est sûr, constata calmement Étienne, à qui tout le bazar ambiant faisait un peu oublier ses soucis personnels.
Les pompiers étaient là, les extincteurs crachaient, et on reprit à nouveau en file indienne le chemin du CEVU, où on avait de toute façon laissé des tas de paperasses sur la table ovale du conseil.
– Nous n’allons peut-être pas épuiser l’ordre du jour, compte tenu des circonstances, suggéra Goulletqueur.
– Quelles circonstances ? demanda Simon, qui venait de mettre une bonne note à une copie sur le très oublié poète et lord Tennyson.
Mais personne ne fit attention à sa question.
SUITE : Situation prérévolutionnaire classique…
Extraits de Petits Crimes contres les humanités de Pierre Christin, collection Noir, éditions Métailié (www.editions-metailie.com), 240 pages, 10 euros.
© Métailié 2006
Et voir les autres dossiers : 1/5, 2/5, 3/5, 5/5
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