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Choses de la vie quotidienne à la campagne (détail).
LEÇON DE VIE
Deux pages pour planter le décor. Un village à la campagne. Pas d’hier. On aperçoit une camionnette ondulée 2CV et aucune antenne télé ne dépasse des toits. Gros plan sur l’école, la mairie, la grande rue, le café-tabac. S’approche le personnage principal, Jean-Pierre, huit ans, un enfant de la capitale transplanté dans ce joli trou perdu. Et accueilli évidemment aux cris de « Parisien peau de chien, Parigot tête de veau » ! Du classique.
On se dit, c’est parti pour une chronique paysanne nostalgique, le retour à la terre, la beauté des animaux, la simplicité de la vie provinciale, sublime, forcément sublime par rapport à la grande ville hargneuse. Encore du classique. On change vite d’avis. Dès la troisième planche, voici effectivement des animaux : un chien qui s’étrangle à aboyer au bout de sa chaîne, un poulet déplumé sous le long couteau de la fermière, un lapin pendu dont s’écoule un sang bien rouge, des rats empoisonnés agonisant, un canard la tête tranchée d’un coup de hache courant autour du billot, une perdrix tombant criblée de plombs. Bienvenu chez mère nature !
Modèle enseignant de campagne multicarte version années soixante. C’est du robuste.
Comment va réagir notre héros ? Très bien. Accrochez-vous. Jean-Pierre aidera son copain Cyril à tuer un chaton en le lançant contre un mur. Après plusieurs tentatives, la bestiole s’accrochant à la vie, les mômes le jetteront sans remords dans le puits de la ferme…
Attention, Leçon de choses ne raconte pas les aventures d’une jeune terreur. Jean-Pierre, c’est vous, c’est moi. Un enfant comme les autres, avec ses rêves, ses cauchemars, ses joies, ses secrets. Et ses peines effrayantes. Un drame se tisse qui va bouleverser sa vie. Un drame qui arrive parfois quand le papa est toujours sur les routes et la maman un peu trop jolie. Les lions dépistent sans problème les jeunes gazelles fragiles. Et que peut faire un gosse de huit ans contre un lion, même s’il porte cravate ? Vieillir plus vite que prévu, peut-être.
Grégory Mardon joue à casser les codes pour montrer la vraie vie. Ainsi la légende des mauvais garçons. Le village a évidemment sa famille de Dalton locaux, fortes carrures, grandes gueules et soiffards capables, c’est de notoriété publique, de toutes les vilenies. Ces terreurs qui font trembler le pays se révèleront plus complexes et plus passionnantes que prévu. Portrait en nuance également de l’instit, multicarte puisque tous les élèves du CP au CM2 sont dans la même classe. Avec sa tronche moustachue et sa cravate à fleurs de beauf moyen, il est impressionnant vu par des yeux de huit ans. Le genre à ne hésiter à botter le cul d’un môme qui oserait se moquer des morts de la Grande guerre.
Mardon illustre le tout d’un trait ligne claire un peu pointu, clair et ultra lisible, sans surcharge excessive mais ne tombant jamais dans le « foutage de gueule » de certains auteurs modernes qui a déclenché l’ire de Tibet (BoDoï # 100, page 18).
Une très belle leçon de vie.
LEÇON DE CHOSES, scénario, dessin, couleurs de Grégory Mardon, Double Expresso Dupuis, 78 planches, 15 euros.
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