Les + du Blog : L’INTEGRALE FRANQUIN SPIROU ET FANTASIO
Racisme : Spirou, comme Tintin…
«Dans Tintin au Congo, Hergé montre les Noirs comme des singes ! J’en ai marre de cette tolérance mignonne vis-à-vis des images type la vieille pub Banania. Je ne considère pas Hergé comme un raciste, un antisémite, un collabo. Il était juste un homme de son temps, con comme ceux de son temps.» Qui écrit ça ? Joann Sfar dans BoDoï 102, à l’occasion de la sortie du nouveau Chat du rabbin qui se passe en partie au Congo alors belge.
Coïncidence, le géant, le gentil Franquin, apporte de manière posthume de l’eau au moulin de Sfar. Dans le premier tome de L’Intégrale Franquin Spirou et Fantasio (1), on découvre un dessin datant de 1946 qui vous scotche sur place. Fantasio, bien rasé, pimpant et fringant en chemisette blanche (évidemment), achète une vieille veste chez un fripier. Un curieux fripier, calotte sur le crâne, nez allongé et coudé, oreilles face à la route, lèvres lippues, ongles crochus et tout vêtu de noir (évidemment). Un fripier sorti tout droit d’une de ces revues antisémites qui pullulaient en France pendant l’Occupation allemande.
Ce dessin, Franquin le renia vite et le redessina. Il s’en expliqua auprès d’Yvan Delporte, dans le tome 1 de Gaston Lagaffe (Rombaldi 1984), avouant avoir été sous «l’influence imbécile d’une caricature que les nazis faisaient des juifs pendant l’Occupation. J’ai été affligé d’un père antisémite. Moi je ne l’ai jamais été mais, tout de même, il y a eu cette influence de la propagande nazie, juste pour ce dessin-là.»
Cette intégrale du travail de Franquin sur Spirou et Fantasio va poser un problème à tous les fidèles de Franquin qui possèdent déjà l’ensemble des titres parus. S’ils veulent avoir accès à quelques histoires inédites, il leur faudra aussi payer pour des aventures déjà sur leurs étagères. On appelle ça de la vente forcée. On peut rêver d’une édition parallèle ne comportant que les inédits. D’autant que les commentaires qui parsèment le tome 1 n’apportent pas grand-chose de nouveau. La quasi-totalité est piochée dans la grande interview que Franquin accorda à Numa Sadoul (2).
Alors, le jeu en vaut-il la chandelle ? Oui, sans aucun doute pour le premier tome qui s’ouvre sur Le Tank, première histoire réalisée en «free-lance» par Franquin et qui convainquit Jijé de lui confier les rênes de Spirou et Fantasio au beau milieu de La Maison préfabriquée. Franquin réussit si bien le passage de relais qu’aucun lecteur ne s’aperçut du changement de dessinateur ! Suivent nombre d’histoires complètes dont certaines inédites en albums et de très belles Une de l’hebdomadaire Spirou de 1947, consacrées à des gags en une planche de Spirou.
Le tome 1 publie également une histoire de Noël de Franquin parue dans le journal Spirou du 22 décembre 1949. Avec ce commentaire : «l’éditeur demanda à Franquin de centrer deux pages de Spirou chez les pygmées sur le thème de Noël. Ces planches, numérotées 22 et 22 bis, avaient été retirées de l’album.» C’est un peu court. Pourquoi ce retrait ? La réponse est donnée par Yvan Delporte dans le très beau Les Noëls de Franquin (3) qui, lui aussi vient de sortir : «En 1949, Charles Dupuis s’est aperçu qu’on était presque à la fin de l’année et qu’il n’y avait dans le journal aucune allusion à Noël. Il a téléphoné à Franquin pour lui demander d’insérer en catastrophe deux pages de circonstance dans Les Aventures de Spirou, n’importe quoi du moment que ce soit chrétien. Franquin trouvait l’idée absurde et même déplaisante, mais il ne voulait pas faire de la peine à son éditeur, alors, à contrecœur, il a pondu cette mini-histoire magique. Il souhaitait qu’une fois parue dans le journal, plus personne ne la voie.»
Quelques années plus tard raconte Delporte «rebelote. En 1956, M. Dupuis se dit que ce bon M. Franquin voudra bien nous dépêtrer de là en ajoutant une page de circonstance à la si charmante histoire du Nid des Marsupilamis. Une fois encore, c’est en pestant, grognant et blasphémant en cachette (pour ne pas vexer l’éditeur) que Franquin s’exécute. Il interdira bien sûr que cette planche soit reproduite dans l’album.» Elle aussi se trouve dans Les Noëls de Franquin.
Si le tome 1 de l’intégrale est magique, permettant de suivre l’évolution du trait élégant et bouillonnant de vie de Franquin, le deuxième, publié dans la foulée, est beaucoup plus classique. Après un cahier rédactionnel de 12 pages résumant la période 1950-1952, l’album se contente de republier Il y a un sorcier à Champignac, Spirou et les Héritiers et Les Voleurs du marsupilami. Ceux qui possèdent ces titres peuvent se passer de ce pavé. Six autres albums sont attendus. Espérons que leur contenu se rapprochera davantage de celui du premier tome que de celui du deuxième.
Extrait d’une des planches que Franquin espérait bien n’être plus jamais rééditées. C’est raté…
1- L’Intégrale Franquin, Spirou et Fantasio, tomes 1 (Les Débuts du dessinateur) et 2 (De Champignac au Marsupilami), Dupuis, 16 euros. Tome 3 (Voyage autour du monde) en mars 2007, tome 4 (Aventures modernes) en novembre 2007, les tomes 5 à 8 (Mystérieuses créatures, Inventions maléfiques, Le Mythe Zorglub, Aventures humoristiques) entre mars 2008 et novembre 2009).
2- Et Franquin créa Lagaffe, entretien réalisé en 1985 (Distrib BD – Schlirf, épuisé).
3- Les Noëls de Franquin, Marsu Productions, 39 euros.
Images © Dupuis
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