Les + du blog : MEMOIRES DE JACQUES SADOUL 3/7
Natacha, les Bidochon et Gaston essuient les plâtres en version de poche.
« POUR LANCER LA COLLECTION BD DE J’AI LU, JE VAIS VOIR GOTLIB »
« Et la BD en poche, alors, c’est pour quand ? » Cette question, je l’ai souvent entendue poser par des gamins, jamais par des amateurs de bande dessinée, encore moins par des professionnels. Les premiers tenaient trop à leurs chers (dans tous les sens du terme) albums, les autres jugeaient l’entreprise impossible, voire suicidaire.
Prenons, par exemple, l’édition définitive de La Quête de l’oiseau du temps qui commença de paraître en 1986 sous forme de deux grands albums de 23×31 centimètres. Comment faire entrer ces grandes planches dans les dimensions d’un livre de poche, 11 x 18 cm ? Les formats ne sont même pas homothétiques. Vouloir introduire de la BD en J’ai Lu paraissait une pure folie, nous avions d’ailleurs déjà étudié la question avec Frédéric Ditis et nous avions abandonné.
Puis, en 1985, l’idée refit surface. Jacques Goupil était aussi un amateur de bande dessinée et il sentait qu’il y avait là un terrain vierge, inexploité. Pendant des semaines, nous avons retourné le problème dans tous les sens, en vain, une fois les planches réduites les lettres des ballons devenaient illisibles. D’accord, je sais, par ma faute, ou grâce à moi, on dit aujourd’hui « bulles » mais, pour le vieil amateur que je suis, cela reste des ballons.
C’est alors que le directeur du studio, Roland Deleplace, trouva la solution : il ne fallait pas considérer les planches dans leur ensemble, il fallait les remonter image par image. Ainsi, au lieu d’avoir, par exemple, dix dessins sur une page de l’album d’origine, il n’y en aurait plus que six dans l’édition de poche. Naturellement le nombre de pages augmenterait en conséquence. Encore fallait-il que les éditeurs de BD acceptent de nous céder les droits de leurs titres et que les dessinateurs ne s’opposent pas à notre projet en criant au dépeçage de leur œuvre. « À vous de jouer, voyez si vous pouvez acquérir quelques droits », me dit Jacques. Je pris mon bâton de pèlerin et commençai à faire le tour des maisons spécialisées, ce genre de question délicate se règle de vive voix, pas au téléphone. Le moins qu’on puisse dire est que ce n’était pas gagné d’avance et que mon optimisme sur mes chances de succès était voisin de zéro.
Dans un tel cas, mieux vaut commencer par aller rendre visite à un ami, il peut refuser, mais, au moins, il ne vous jette pas à la porte comme un malpropre. J’allais donc voir Marcel Gotlib qui, après avoir créé L’Écho des savanes avec Claire Bretécher et Mandryka, dirigeait maintenant son propre magazine Fluide glacial. Le canard avait vu le jour le 1er avril 1975 (date intentionnelle) et était publié par une maison d’édition nommée Audie. Il s’agissait d’un acronyme signifiant : « Amusement, Umour, Dérision, Ilarité, Et toutes ces sortes de choses », autrement dit de l’esprit Fluide glacial typique.
J’exposai notre projet à Marcel et à son associé qui, à ma vive surprise, répondirent : « Pourquoi pas ? » Ils me demandèrent de faire exécuter au studio des essais de remontage qu’ils examineraient et soumettraient aux auteurs. Je repartis avec Idées noires de Franquin, le premier album des Bidochon de Binet et Pervers Pépère de Gotlib lui-même, et je remis le tout à Deleplace. Mieux valait attendre d’avoir quelque chose à montrer avant d’aller frapper à d’autres portes.
Les essais de remontage furent concluants et approuvés par les dessinateurs d’Audie, je partis donc les montrer à Albin Michel, Dupuis, Jacques Glénat, Casterman et Dargaud qui fut le seul à refuser net. Les dirigeants de Casterman me dirent : « Nous pensions vous dire non d’emblée, mais vos remontages d’Idées noires et de Mafalda sont étonnants. Si vous parvenez à en faire autant sur La Ballade de la mer salée, nous serons convaincus. » Dupuis préféra différer sa réponse, mais devint ensuite un des piliers de la collection avec Gaston et Spirou & Fantasio de Franquin, Natacha de Walthéry, Gil Jourdan de Tillieux, etc. Tous comprirent que nous ne cherchions pas à concurrencer leurs albums, plus beaux, plus luxueux, mais à trouver un nouveau public moins fortuné. »
SUITE : « Philippe Druillet découpe, zoome, transforme… »
Texte tiré de C’est dans la poche ! de Jacques Sadoul, éditions Bragelonne, 200 pages, 17 euros. © Bragelonne 2006
Lire les autres dossiers : 1/7, 2/7, 4/7, 5/7, 6/7, 7/7
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