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Les + du Blog : « Un goût de biscuit au gingembre »

4 octobre 2006 |


LE VERT-DE-GRIS ATTAQUE LA PIERRE

Se glisser dans la peau d’un nazi est l’exercice à la mode de la rentrée littéraire. Les Bienveillantes de Littell qui explore les affres d’un bourreau durant la seconde guerre mondiale est la grande surprise du box-office. Un Goût de biscuit au gingembre (1) est d’un tout autre tonneau et, à vrai dire, la comparaison s’arrête au héros germanique.
Car l’Oberleutnant Metzger, pierre angulaire de cette balade, n’a rien d’un tortionnaire.
Cet ancien architecte mélancolique est affecté à Bruxelles. Sa mission, rendre compte de la qualité artistique d’un monument aux morts érigé à la mémoire des poilus de 14-18, n’est pas bien belliqueuse. Au point que le contexte semble uniquement servir de prétexte au romancier pour effleurer les turpitudes d’un pays occupé et se concentrer sur le véritable sujet de l’ouvrage : l’évocation architecturale. Un exercice délicat qui ravira tous les enfants de Brunelleschi et dont Hanotte se sort à merveille. Son verbe rigoureux exalte les perspectives et sculpte des monuments à la gloire des bâtisseurs. Mais la fantaisie n’a pas sa place dans ce roman sobre. En témoignent les nombreux dessins signés Claude Renard (2) qui rythment densément l’intrigue. Épures à la mine de plomb, léchées dans une optique académique.
Au final, un beau récit, sans ambages, joliment illustré, sans fioritures.

1) Un goût de biscuit au gingembre par Xavier Hanotte (15 euros) a été publié en 2005 sous le titre L’Architecte du désastre (Belfond). Cette version remaniée et enrichie d’un épilogue paraît dans la collection Carnets Littéraires des éditions Estuaire. Dirigée par Didier Platteau, ancien pilier de Casterman, cette collection a déjà publié 15 romans illustrés par des auteurs comme Mattotti, Pinelli ou De Moor.

2) Claude Renard professeur de graphisme à Saint-Luc (Bruxelles) notamment auteur des Aventures d’Ivan Casablanca (4 albums, Humanos 1984) et co-auteur avec François Schuiten des Métamorphoses (réédité aux Humanos en 2002).

Extrait :
« J’AVAIS PUNAISE LES TROIS TETES DE POILUS AGONISANTS »

La lumière rasante de l’ampoule accentuait le grain épais du papier. Au mur, sans égard pour le plâtrage, j’avais punaisé les trois têtes de poilus agonisants, terminées sur place en fin d’après-midi. Le plaisir retrouvé du dessin d’après nature me réjouissait encore les doigts. Avant le dîner, j’avais dû me laver les mains à grande eau pour ôter la mine de plomb. Le résultat, s’il me plaisait, ne levait en aucun cas le dilemme auquel j’étais confronté.

Des trois, le visage du mourant de droite m’avait donné le plus de mal. Le renversement de la tête déplaçait en effet les repères habituels et modifiait les jeux d’ombre verticaux. Or, je m’étais refusé à tricher en retournant la feuille une fois portés les traits principaux. J’avais bien fait car le rétablissement de la perspective eût révélé un faciès au rendu à la fois raide et naïf, sorte de mauvais David d’Angers, d’un didactisme appuyant ses effets.

Le gazé de gauche, lui, affichait une trogne grimaçante de gargouille aux yeux globuleux. Le réalisme recherché aboutissait au grotesque le plus cru. Quant au coup de ciseau approximatif et sans nuance, il évoquait la brute mourant d’une mort de brute bien d’avantage que l’homme saisi d’effroi devant sa fin prochaine, palpable, inéluctable et incompréhensible. D’après la documentation fournie par le Major, la ville de Rouen avait acquis, du même Réal del Sarte, un pompeux mémorial dédié aux forains morts pour la France. Judicieux rapprochement. Car ici, précisément, c’était de sculpture foraine qu’il eût fallu parler.

La figure centrale, en revanche, revendiquait une filiation plus noble. Christique d’abord, car le soldat fauché envoyait au ciel son dernier souffle dans un Eli, Eli, lama sabaqthani dont le royaliste Réal n’avait pu gommer complètement la connotation républicaine. Celle de Jeanne d’Arc ensuite, dont le maître avait illustré la geste à travers les villes de France et jusqu’à l’étranger, avec une prédilection toute doloriste pour ses derniers instants enflammés aux mains des tortionnaires anglais. Vu ses orientations politiques du moment, nul doute que Réal, s’il poursuivait sa croisade, soulignerait cet aspect particulier des relations franco-britanniques. Mais, en 1929, il s’était contenté de remplacer les flammes par le gaz, et la bonne Jeanne par un conscrit des dernières levées. Au moins, cette fois, ne s’était-il pas amusé à donner à l’une de ses figures héroïques la triste bobine de Charles Mauras.
Au total, rien de probant.
Or, si laid qu’il pût être, il me fallait sauver ce mémorial.

© Xavier Hanotte / éditions Estuaire

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