Les Équinoxes
Il y a Louis, qui traîne son spleen et sa vieille carcasse de militant politique dans la campagne, regardant de loin des manifestants anti-aéroport virulents. Et puis, il y a Vincent, orthodontiste divorcé et père d’une ado, qui cherche un sens à sa vie. Enfin, voilà Camille, aspirante photographe sans boulot et sans attaches, qui n’aspire qu’à devenir invisible. Autour d’eux, du Jura à la Bretagne, en passant par Paris, des ex-femmes, des copains décédés, des lycéens solitaires, des enfants disparus, et puis des amis chers. La vie en somme, au fil des saisons et du cycle infini du soleil qui se couche pour se lever sur un jour nouveau, toujours.
Après le magnifique Portugal, oeuvre sensible sur les racines familiales et ce qu’elles peuvent signifier dans la construction d’un homme, Cyril Pedrosa revient avec un nouveau roman graphique imposant dans un registre intimiste proche. Mais celui-ci est peut-être encore plus ambitieux dans sa construction et ses thèmes. Lorgnant davantage vers la littérature – de nombreux textes font le lien entre les chapitres – l’album cite ainsi volontiers Virginia Woolf (Les Vagues), Thomas Pychon (Vineland) ou Jean Echenoz (Le Méridien de Greenwich). Mais on est bien dans une bande dessinée, dans laquelle les techniques graphiques évoluent avec les saisons et le cheminement des protagonistes, pour mieux saisir les peurs de l’enfance et celles de la vieillesse qui avance, les interrogations existentielles d’un quinqua à l’apparente stabilité, et tous ces petits moments d’incertitude, d’inquiétude et de solitude qui font la vie. Crayonnés charbonneux, sublimes envolées pastel à la Mattotti, jeu de transparences colorées vibrant d’émotions, encre brossée vigoureusement ou langoureusement rehaussée d’aplats puissants… Pedrosa fait exploser sa palette tous azimuts, mais dans une grande cohérence, toujours à la recherche d’un point d’équilibre dans le monde des hommes (les équinoxes?), hommes qui ne vivent que dans le déséquilibre de l’insatisfaction et du besoin d’un nouveau départ, d’un nouvel élan vital. Sur plus de 300 pages extrêmement léchées, l’auteur produit une très grande oeuvre, sans doute moins accessible que Portugal, mais largement aussi puissante tant elle questionne l’humain avec précision et humilité. Sans doute la plus impressionnante et sensible bande dessinée de l’année.
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