« Hobtown » : quand le Club des 5 rencontre Twin Peaks
Ne vous fiez pas au charme désuet d’Hobtown, petite ville côtière de Nouvelle-Écosse au Canada. Sa douceur de vivre n’est que – très – apparente : les disparitions d’hommes s’y multiplient. Rapidement, un club de détectives en herbe, du lycée local, décident de mener l’enquête. On pourrait se croire dans Le Club des Cinq ou Alice détective, polars gentillets prisés des enfants. Mais il n’en est rien. L’ambiance devient vite poisseuse, les crimes affreux, et le lecteur se retrouve englué dans une histoire séduisante. Un feuilleton délicieusement vintage, mitonné par les Canadiens Alexander Forbes et Kris Bertin. Alors que sort le deuxième volume (L’Ermite maudit) et que le premier, L’Affaire des hommes disparus, concourt en sélection polar au Festival d’Angoulême, ils racontent la genèse de leur série.
Comment décririez-vous la ville d’Hobtown ?
Alexander Forbes : C’est un endroit fictionnel, basé sur quelques vraies villes de notre région de Nouvelle-Écosse [au Canada, ndlr], comme Lunenburg, Pugwash ou Cape Breton, que ne connaissent probablement pas les lecteurs français. Ces lieux sont pittoresques, mais si l’on y passe un certain temps, on peut se sentir inquiet, perturbé, sans vraiment pouvoir décrire ce sentiment. Cette étrangeté subtile est ancrée dans le folklore et l’histoire coloniale de la Nouvelle-Écosse, ce qui en fait le cadre parfait pour nos histoires mystérieuses et bizarres.
Kris Bertin : Hobtown est pour moi la petite ville qu’un enfant avec beaucoup d’imagination peut inventer. Pour un gamin, il est facile d’imaginer que tous les adultes sont fous ou maudits, qu’il existe un club de gens démoniaques, ou que la ville elle-même est bâtie sur un tas de monstres et de secrets. Sauf qu’à Hobtown, tout cela est vrai.
Pourquoi avoir choisi des adolescents comme héros ?
A.F. : L’une des lignes directrices des intrigues de Hobtown est l’amitié. Lorsque nous étions ados, nos relations amicales étaient d’une importance capitale : nous nous débattions ensemble dans les mêmes difficultés. Ces adolescents sont confrontés à d’effrayantes réalités que les adultes leur ont cachées. Cela les mène à questionner la moralité de leurs parents et proches.
K.B. : Nos personnages ont tous différentes motivations mais forment une équipe efficace, parce qu’ils se préoccupent les uns des autres et aiment sincèrement résoudre des énigmes. Trouver des clés par eux-mêmes, sans l’aide des adultes, les aide non seulement à comprendre le monde qui les entoure, mais aussi à se comprendre les uns les autres. Nous avons cherché à montrer comment ces jeunes évoluent, non seulement au fil de l’histoire, mais d’un album à l’autre. On prend au début Sam pour un gars rebelle et dur, avant de le découvrir fort en sciences ; Dana, major de sa promotion et propre sur elle, devient une femme fatale… Pour effectuer ces transformations, nous confrontons nos héros à des forces sombres et menaçantes qui les poussent à remettre en question leurs idées, leurs relations avec les autres et leurs actions.
Quelles ont été vos inspirations ?
A.F. : Des romans comme Alice détective de Caroline Quine et Les Frères Hardy de Frankin W. Dixon – pas tellement pour l’écriture, mais pour l’esthétique des livres. Nous avons tenté de la détourner, un peu comme David Lynch fit dans Twin Peaks.
K.B. : Ce que je préfère dans les polars, c’est quand tout change soudainement, et que vous réalisez que ce que vous pensiez évident s’est évanoui. Je pense que, malgré les « mystères » du titre, nos histoires sont davantage proches du genre horrifique.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
A.F. : À l’école élémentaire, au Nouveau Brunswick – une province qui jouxte la Nouvelle-Écosse. Nous avons commencé à dessiner des BD ensemble, et nos ambitions créatives ont depuis tenu un rôle central dans notre amitié. J’ai toujours voulu raconter des histoires, et la bande dessinée s’est pour moi imposée comme un moyen naturel de le faire. L’auteur de BD canadien Chester Brown est l’un de mes héros, son travail me transporte.
K.B. : Nous sommes probablement plus proches que la plupart des duos dessinateur/scénariste, car chacun est le plus vieil et meilleur ami de l’autre. Je voulais travailler avec Alex parce que son travail est non seulement magnifiquement détaillé et complexe, mais aussi parce qu’il a une vision spécifique de chaque personnage, chaque case. C’est un vrai artiste. Je suis aussi très friand de l’oeuvre de Chester Brown, et de Joe Matt. J’apprécie des indépendants comme Daniel Clowes, Eric Haven, ou alors la très subversive Gina Wynbrandt.
Comment avez-vous travaillé ensemble sur cette série ?
A.F. : L’idée originale était un concept vague, que j’essayais de développer depuis un moment. Kris en a sorti quelque chose de merveilleux. Il écrit le scénario, et je dessine de façon assez traditionnelle, au stylo et à l’encre, en donnant un rôle important aux textures. Mais chacun participe au travail de l’autre.
K.B. : Nous rebondissons sur nos idées respectives. Si Alex dessine quelque chose qui semble sans importance, je m’y accroche, l’emplis de sens, et puis le réutilise un peu plus tard.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
A.F. : J’ai peiné à maîtriser le temps passé sur chacune des parties de l’histoire, encore plus quand j’ai eu des dates butoir… J’essaie de m’améliorer sur ce point, et aussi de maintenir une cohérence globale, alors que mon style s’améliore au fil du travail.
K.B. : Gérer Alex est difficile ! Je lui ai acheté une montre récemment. Espérons que ça aidera…
Que se passe-t-il dans la suite de ces mystères, L’Ermite maudit ?
A.F. : Beaucoup de choses ! Les adolescents vont découvrir davantage de sociétés secrètes, des fantômes, soucoupes volantes, et même un “seigneur des singes” !
K.B. : Nous avons dans l’idée de nous enfoncer de plus en plus profondément dans la douce et molle étrangeté d’Hobtown jusqu’à ce que nous (ainsi que les lecteurs et les héros) ne puissions plus en sortir. C’est notre but !
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Les Mystères de Hobtown #1 et #2 : L’Affaire des hommes disparus et L’Ermite maudit
Par Kris Bertin et Alexander Forbes.
Éditions Pow Pow, 22 et 19 €, juin et décembre 2020.
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