Trois ans après Les Monstres aux pieds d’argile, séduisant mais manquant de rythme et de densité narrative, Alexandre Kha revient avec un livre nettement plus ambitieux et abouti. On retrouve son goût pour les personnages de freaks dépressifs et attachants, avec ici un épouvantail qui prend vie mais ne peut se débarrasser des corbeaux, une jeune sans-papiers aux orbites creuses, un loup-garou jaloux, un beau gosse vitriolé, et surtout un metteur en scène de spectacles horrifiques dignes du Grand-Guignol…

Poétiques, absurdes, effrayantes, romantiques voire érotiques, les petites histoires d’Alexandre Kha, qui se mêlent dans une trame plus ample et cohérente au fil de ces quelque 120 pages, ont quelque chose d’hypnotique. Comme un poème de Poe ou une nouvelle de Kafka, mais avec un ton singulier, une douceur amère, une vraie patte d’auteur. Les protagonistes semblent danser un tango funèbre, un ballet ténébreux durant lequel la désirable Elena passe de bras en bras, perdue et indécise, laissant des hommes et créatures transis et déçus dans son sillage, des êtres auxquels, par ses baisers, elle a insufflé la vie. Dans ce petit théâtre en bichromie rouge-sang, où la frontière entre la vie et la mort n’est que littérature, c’est bien à une histoire d’amour qu’on assiste. Une histoire d’amour touchante et un peu naïve, comme celle des contes de notre enfance, mais qui serait passée à la moulinette de la fiction fantastique pour adultes. Le mélange est étonnant, le livre est envoûtant.