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Pour réussir dans le manga, pas de secret. Il suffit de tester ses séries en les prépubliant dans des magazines et d’éditer les préférées des lecteurs. Et de faire bosser ses mangakas comme des damnés. Même le grand Tezuka était traité comme un forçat ! Bienvenue sur la galère…
Culture manga, Fabien Tillon. Nouveau Monde, 17 euros.
Kirihito, d’Osamu Tezuka. © Nouveau Monde, 2006.
MANGA, TON UNIVERS IMPITOYABLE !
L’éditeur choisit les sujets en accord avec le mangaka. Les développements du scénario sont discutés chaque semaine, pour les séries qui paraissent dans les magazines hebdomadaires, lors d’une réunion chez l’éditeur. Il s’agit de plaire : les sujets trop éloignés de l’air du temps, ou ne promettant pas de gains immédiats, sont rejetés vers la presse plus underground, tel le magazine Garo, phare du manga raffiné. Les séries n’obtenant pas suffisamment de succès, selon le classement des sondages de lecteurs réalisés chaque semaine, sont abandonnées sans vergogne.
Une fois l’accord passé entre éditeur et créateur sur les développements narratifs futurs, le mangaka mobilise son équipe autour de lui pour réaliser, en un minimum de temps, les travaux graphiques : crayonné, encrage, pose des trames, décors, lettrages… Pour les mangas paraissant dans les magazines hebdomadaires – c’est-à-dire l’écrasante majorité d’entre eux –, la semaine de travail est un véritable enfer enchaînant les créateurs et leurs équipes à un travail opiniâtre, où seule la journée du dimanche est (partiellement) consacrée à un sommeil mérité. Ce rythme haletant est cohérent avec les habitudes de travail en vigueur dans l’ensemble de la société japonaise: un salarié nippon travaille en moyenne près de 62 heures, une femme active à temps plein 75 heures si l’on cumule les heures domestiques, record mondial toutes catégories! Mais cette infernale cadence occasionne parfois, avec sa dose de stress hebdomadaire, un réel dégoût de la part des artistes. Ainsi, Akira Toriyama, créateur de Dragon Ball, l’un des plus gros vendeurs du manga, abandonna sa série phare en 1995, totalement vidé. Il resta simple consultant sur les suites de son œuvre adaptées en dessins animés (Dragon Ball Z, Dragon Ball GT),avant de se relancer sur d’autres projets – dont une mini série parodique tournant en ridicule les principales scènes de Dragon Ball, Nekomajin.
Certains auteurs, tels Katsuhiro Otomo, ont définitivement dit adieu à leurs planches à dessin pour se consacrer à l’animation, où les cadences sont (un peu) moins démentes. Pour assurer la cohérence de ce système productiviste, le rôle des responsables éditoriaux est fondamental. Salariés des maisons d’édition (qui diffusent aussi bien la presse que les livres), ils sont des partenaires profondément impliqués dans le travail de création. Le responsable a son mot à dire sur le développement d’une série, lors des rendez-vous créatifs avec les auteurs durant lequel les épisodes à venir sont discutés. Ensuite, pendant la réalisation proprement dite, il épaule le mangaka et lui apporte réconfort et aide matérielle.
Certains responsables n’hésitent pas à enfermer les dessinateurs chez eux, quitte à leur servir de nounou, de majordome et de confident pendant les heures funestes où les dernières planches doivent être produites, voire à mettre eux-mêmes la main à la pâte, par exemple pour tracer les lettrages ou simplifier les dialogues! Les rapports tumultueux d’Osamu Tezuka avec ses éditeurs, lorsqu’il assurait plusieurs séries en parallèle, sont restés dans la légende. Tezuka, las de travailler nuit et jour, s’enfuyait parfois dans la nuit pour se rendre au cinéma, échappant ainsi à la surveillance de ses responsables éditoriaux qui campaient dans son antichambre en attendant les planches si chèrement désirées…
Prochain extrait : LA REVOLUTION TEZUKA
Illustrations extraites de Culture Manga, ©Nouveau Monde, 2006.
Lire le précédent dossier : 1/4, 3/4, 4/4
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