Les Rigoles
Jona se prépare à s’envoler pour rejoindre sa copine à Berlin. Son appart est vidé, sa valise bouclée. Mais il aimerait passer une dernière chouette soirée en ville. Aucune de ses connaissances n’est libre, qu’importe. Il s’apprête à croquer la nuit à pleine dents, à frôler des inconnus, se faire offrir des verres par des vieux potes de comptoir, à regarder d’un oeil attendri et inquiet cette cité qui brille dans le noir et qu’il connaît par coeur. Ailleurs, pas loin, il y a Rodolphe, qui soigne sa dépression avec des tisanes. Sans trop de réussite. Il lui faudrait autre chose, comme un déclic pour laisser s’épanouir le nouvel homme qui sommeille en lui. Et puis, au détour d’une table, on croise Victoria, instable, indécise, suicidaire peut-être, avec des émotions comme des montagnes russes en tout cas. Cette nuit, ça chante, ça hurle, ça boit, ça fuit. Ça grimpe un peu et surtout ça dégringole dans le quartier des Rigoles…
Après Panthère, Brecht Evens revient au monde de la ville et de la nuit, dans une cavalcade chorale au graphisme époustouflant. Ses compositions d’encres colorées, d’aquarelle, et même de carte à gratter, sont impressionnantes. De précision, de sensibilité, d’émotion. Cet environnement chromatique, volontairement non réaliste pour mieux croquer des scènes plutôt réalistes, elles, est la marque de fabrique de l’auteur belge et il l’assume avec talent et audace : il ne ronronne pas dans sa palette, il pousse son système loin, très loin, pour faire resplendir sa cité-lumière même au plus sombre de la nuit. Ses nombreux personnages sont ainsi parfaitement incarnés, avec notamment un usage de la couleur dans l’élégant lettrage, qui permet toujours de savoir qui parle. Malin et précieux, car ça part parfois dans tous les sens. Tout s’entremêle, se superpose, tourbillonne. C’est aussi dans ce feu d’artifice permanent que réside le point faible de l’album. Car, si Brecht Evens brosse avec talent l’ivresse et les nuits qui n’en finissent plus, son histoire d’errance nocturne ne mène finalement pas à grand-chose. Comme beaucoup de nuits de plaisir sous alcool, certes, où l’on refait le monde et ressasse les délices et frustrations du passé, avant de passer à autre chose une fois le soleil levé… Le lecteur, lui, est donc bien contraint de passer à autre chose une fois ce touffu et épais album de plus de 300 pages avalé. Et il lui reste un choc visuel mémorable mais trop peu de sens. Un éblouissement quasi magique, mais un peu vain, au fond.
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